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Souffrance au travail. La SNCF reconnue responsable du suicide d’un cheminot

Cinq ans après le suicide de Julien Pieraut, la justice a condamné la SNCF pour « faute inexcusable » et à payer 80 000 euros aux parents du cheminot. Cette mort tragique est le prix des dégradations des conditions de travail dont la responsabilité revient à l’État et à l’entreprise.

Benoit Barnett

25 mai 2023

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Souffrance au travail. La SNCF reconnue responsable du suicide d'un cheminot

Crédits photo : O Phil des Contrastes

Après cinq années d’attentes et de deuil, la famille de Julien Pieraut a obtenu gain de cause auprès de la justice qui reconnaît la « faute inexcusable » de la SNCF dans la mort de leur fils. Après avoir nié son implication dans les causes du suicide du jeune homme, l’entreprise ferroviaire est condamnée à payer 40 000 euros à chaque parent.

La souffrance de Julien Pieraut ignorée par la direction de la SNCF

Le lundi 21 mai 2018, à 5h30 du matin, Julien Pieraut a pris la décision de se tuer en s’allongeant sur les rails d’un chemin de fer après avoir souffert pendant plusieurs années des conditions de travail qui lui étaient imposées par la SNCF. Alors que la SNCF aurait préféré que ce suicide ne soit jamais reconnu en accident du travail, ce qui lui aurait permis de s’en dédouaner, et avait déclaré « n’avoir jamais eu connaissance de difficultés psychologiques rencontrées par Julien Pieraut », plusieurs preuves ajoutées au dossier font voler en éclats cette version des faits. 

En effet, dès 2015, le jeune cheminot qui travaillait à la maintenance avait signalé les difficultés liées à son transport jusqu’à son lieu de travail et avait effectué plusieurs demandes d’aménagement des horaires, d’aide au déménagement ou encore de mutation qui ont toutes été refusés par la SNCF. Depuis 2012, Julien faisait des aller-retours entre l’Aisne et la gare de Paris-Est, soit 4 heures de trajet par jour pour son 3x8 semaine. Avec ce rythme de travail, il accumulait énormément de fatigue, cause d’arrêts maladies à répétition occasionnant des retenues sur salaires par la SNCF. 

En 2016, l’encadrement lui propose de passer du « 3x8 semaine » à un « 3x8 sept jours sur sept » pour rejoindre une équipe de dépannage. Une proposition que Julien est forcé d’accepter en raison de problèmes financiers et d’agressions physiques par un collègue sur son lieu de travail. De plus, il a commencé un suivi psychiatrique un an après et a été classé dans un état de souffrance psychologique. 

Dégradation des conditions salariales et souffrance au travail

En France, le suicide touche 9.000 personnes par an, mais il est difficile d’estimer la part liée aux conditions de travail. Toutefois, l’économiste Jean-Claude Delgène explique que « la tranche d’âge des 30 à 55 ans reste très touchée par les crises suicidaires, et c’est la tranche d’âge où on travaille. » Ici, la décision de justice montre le lien entre la souffrance psychologique qui a mené au suicide et le travail, et met en lumière les conditions de travail à la SNCF. En 2017, la CGT Cheminots avait recensé 57 suicides d’agents

Dans un tract de mai 2019, le syndicat Sud Rail réagissait : « Il n’est jamais anodin qu’un cheminot se suicide dans les enceintes de la SNCF. Il n’est pas non plus anodin que cela se soit passé sur une matinée, un service particulièrement douloureux pour Julien ». En effet, pour le syndicat, l’entreprise est pleinement responsable de la souffrance engendrée pour les cheminots. Les fermetures d’atelier qui obligent à se déplacer toujours plus loin de chez soi et les bas salaires qui empêchent les travailleurs de se loger proche de leurs lieux de travail sont autant d’éléments qui participent à accroître la souffrance au travail. 

Sur ces cinquante dernières années, l’effectif de la SNCF a été divisé par trois et a atteint les 136 388 salariés en 2020, la charge de travail repose sur toujours moins d’agents. A cela, il faut ajouter les attaques régulières contre les conditions de travail de la SNCF, l’introduction d’un management toujours plus pernicieux pour isoler les travailleurs. Les quelques petits avantages qui permettaient de tenir les horaires décalés, le travail les week-end, les jours fériés, le fait de vivre à contre-temps de sa famille, ont été supprimés un par un. Signe qui ne trompe pas, les démissions explosent à la SNCF : en 2016, l’entreprise enregistrait 614 démissions contre 1200 en 2021 !

« Il y a une volonté de nuire de la part de la SNCF et du gouvernement français »

Pour Eric Bezou, ancien cheminot réprimé par la SNCF, la responsabilité de l’État est centrale dans l’aggravation de la souffrance au travail dans une entreprise publique : « Après le procès de France Télécom où l’Etat Français manquait au banc des accusés, la SNCF continue d’appliquer les méthodes du gouvernement. Pour préparer la privatisation, on fait pression sur les salariés, on ferme des sites et on reclasse sans humanité ! »

Pour lui, la décision de justice qui impute à la SNCF une « faute inexcusable » ne convient pas à la réalité : « Une faute inexcusable, c’est quand un risque a été signalé mais que rien n’est fait pour atténuer ou éliminer le risque. Ici, on se trouve face à une faute intentionnelle, il y a une volonté de nuire de la part de la SNCF et du gouvernement français. Comme pour mon ami Edouard Postal, qui s’est suicidé le 10 mars 2017, l’entreprise veut se débarrasser des ’gêneurs’ et, en tirant les leçons de France Télécom, les cheminots au statut sont des gêneurs actuellement. Faudra-t-il que les cheminot au statut quittent l’entreprise par la porte ou par la fenêtre’ à l’instar de France Télécom ? Il semble malheureusement qu’on s’en rapproche ». Il poursuit : « le capitalisme nous fait intégrer comme une donnée normale qu’on mette les salariés en danger en les soumettant aux souffrances liées au travail ».

Depuis le début de l’année 2023, le compte Twitter « Accident du travail : silence des ouvriers meurent » a recensé 107 morts au travail. Près d’une personne par jour meurt de ses conditions de travail. Un chiffre certainement plus important encore, tant le patronat s’efforcent d’affecter les maladies ou les suicides à la sphère privé et d’occulter tout lien avec les conditions de travail.

La mort de Julien Pieraut parle de la condition des ouvriers et des classes populaires aujourd’hui qui subissent l’augmentation des cadences, un management toujours plus répressif, et les baisses de salaire réel sous le coup de l’inflation. Alors que le gouvernement compte faire des économies sur le dos des travailleurs et des services publics, il est urgent de lutter pour que l’ensemble de l’économie soit mise au services des besoins de la population et pas de la rentabilité des capitalistes. Cette rentabilité, nous la payons avec nos vies.

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