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Décryptage

Donald Trump veut-il vraiment sortir de l’Otan et s’allier avec Poutine ?

Donald Trump a multiplié les déclarations provocatrices ces derniers jours, n’hésitant pas à dire qu’il aurait « encouragé » la Russie à envahir un pays qui n’investirait pas assez dans l’OTAN. Derrière la polémique qu’ont immédiatement déclenchée ses propos, se cache une position plus contrastée, inséparable du contexte électoral et de la situation de l’impérialisme états-unien.

Enzo Tresso

12 février

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Donald Trump veut-il vraiment sortir de l'Otan et s'allier avec Poutine ?

Crédits photo : Capture d’écran fr24

En plein meeting, Donald Trump s’est accordé une pause théâtrale : racontant une discussion qu’il aurait eue avec un chef d’Etat étranger membre de l’OTAN qui lui aurait demandé si les Etats-Unis protègeraient son pays en cas d’attaque russe, l’ancien président déclarait avoir répondu : « “Vous n’avez pas payé ? Vous êtes des mauvais payeurs ? (…) Non, je ne vous protègerais pas. En fait, j’encouragerais [les russes] à faire ce que bon leur semble ».

Ces propos s’inscrivent dans la continuité d’autres déclarations. Lors d’un discours à Las Vegas, le 27 janvier, Trump attaquait frontalement les autres pays membres : « On paie pour l’OTAN et on n’en retire pas grand-chose. Je déteste devoir vous dire ça à propos de l’OTAN, mais si on avait besoin de leur aide, si on était attaqué, je ne crois pas qu’ils seraient là. (…) Mais je me suis occupé de l’OTAN. Je leur ai dit : “Vous devez payer vos factures, si vous ne payez pas vos factures, on ne sera pas là pour vous soutenir”. Le jour suivant, l’argent a coulé à flots vers l’OTAN ». Ces propos sont évidemment mensongers puisque, cas unique dans l’histoire de l’institution, l’ensemble des membres avait voté unanimement en soutien au lendemain du 11 septembre.

Les dirigeants européens, la Maison Blanche et la direction du parti démocrate n’ont pas manqué de répondre aux provocations de Trump. Toutefois, leurs lectures intéressées tentent de présenter les déclarations de l’ancien président à nouveau candidat comme l’annonce d’un rapprochement inédit avec la Russie et d’un désengagement massif des Etats-Unis en Europe, notamment à l’égard des pays de l’Est du continent.

À cet égard, le long commentaire de Tara Varma, chercheuse invitée à la Brookings Institution, est un bon exemple de ces interprétations : « Les européens sont dans un état de panique avancée, et c’est justifié. Ils doivent en tirer trois conclusions : Trump ne croit pas aux organisations multilatérales ; ensuite, il ne les protégera pas s’il est élu ; enfin, il encourage Poutine à les envahir, ce qui constitue un changement de paradigme par rapport à 2016. À huit mois de l’élection, il affaiblit déjà l’OTAN. Le niveau de danger dans lequel Trump met les Européens est une vraie escalade. Ils doivent être en mesure de se défendre eux-mêmes et d’aborder sérieusement ce qu’on discute depuis longtemps, l’autonomie stratégique, c’est-à-dire la nécessité de construire des capacités et de diversifier le réseau de partenaire ».

Si le caractère électoraliste des propos de Trump ne fait aucun doute, la base populaire des Républicains étant fortement imprégnée par la rhétorique selon laquelle les Etats-Unis feraient tout pour le monde sans rien recevoir en contrepartie, ils sont également les symptômes de la nouvelle stratégie de la bourgeoisie impérialiste états-unienne que les démocrates ont, tout autant que les républicains, adoptée.

Tout d’abord, le discours « protectionniste » de Trump ne défend pas une sortie de l’OTAN ou des autres instruments de la gouvernance impérialiste. Si les Etats-Unis distribuent beaucoup d’aides à des puissances étrangères, les retours sur investissement sont néanmoins significatifs : la coopération internationale permet aux Etats-Unis d’externaliser une partie des opérations de leur défense nationale. Elle est également gage, en outre, de nombreux contrats militaires et un rouage essentiel de l’écoulement de la production du complexe militaro-industriel états-unien. L’exemple de la guerre en Ukraine est éloquent : cette guerre épuise et affaiblit un rival direct de l’ordre international dominé par les Etats-Unis, la Russie, mais Washington, à la différence des guerres au Moyen-Orient, ne perd aucun soldat et n’a pas la responsabilité directe de la guerre (même si son implication dans le conflit est énorme) se limitant « seulement » à une assistance économique et logistique.

Le discours de Trump instrumentalise la peur de la Russie et l’hypocrisie des puissances impérialistes pour tenter de maximiser la rente impérialiste que les Etats-Unis tirent de leur soutien. Si certaines puissances européennes tentaient de se diriger vers une « autonomie stratégique » plus affirmée, il y a fort à parier que les pays de l’Est du continent, qui n’ont pas les moyens de pourvoir eux-mêmes à leurs besoins militaires continueront de demander l’assistance étatsunienne, quitte à s’acquitter d’un prix plus élevé. Sous la présidence Trump, la Pologne a ainsi obtenu la construction et l’installation d’une base militaire sur son territoire, déclarant qu’elle était prête à débourser près de 2 milliards de dollars pour satisfaire l’appétit de l’impérialisme états-unien.

En second lieu, ces déclarations ne peuvent être interprétées indépendamment du contexte électoral aux Etats-Unis. Alors que les élections se rapprochent, il semble que Trump s’empare des conflits ouverts sous la présidence Biden (en Ukraine notamment et en Israël) pour muscler sa rhétorique électorale. Alors que les démocrates font face à la désertion d’une partie de leur électorat et à l’hostilité d’une partie de la jeunesse et des minorités racisées, solidaires avec la lutte du peuple palestinien, la présidence Biden est également affaiblie par le soutien inconditionnel qu’elle accorde à Israël sur le plan de la politique extérieure. Tandis que le soutien continu à l’effort de guerre en Ukraine déstabilise la puissance étatsunienne, au moment où les Républicains, sur l’initiative de Trump, bloquent au Sénat un nouveau projet d’aide, l’engagement massif des Etats-Unis au Moyen-Orient s’est soldé par une accentuation des contradictions régionales en même temps qu’il a en partie décrédibilisé la légitimité de la diplomatie américaine, incapable de parvenir à contenir Netanyahou.

Sur le plan intérieur, Joe Biden est également fragilisé à double titre par la procédure judiciaire dans laquelle il est accusé d’avoir conservé des documents classifiés à son domicile. S’il a été acquitté, le rapport du procureur insiste sur la fragilité psychologique du candidat à sa réélection, mettant en cause sa mémoire : le président ne se souviendrait plus exactement de son mandat de vice-président ou de la date du décès de son fils. Si l’argumentation du procureur est juridiquement faible, sa publication a décrédibilisé le président. Les multiples lapsus et confusions qui parsèment ses discours n’ont pas amélioré la situation.

Dans ces conditions, les déclarations de Trump exploitent la fragilité du candidat démocrate et la situation ouverte par les guerres de Biden. Alors que la contre-offensive ukrainienne n’a donné aucun résultat convaincant, les positions de Trump sont moins le signe d’un rapprochement avec le président russe qu’elles ne sont le symptôme du pessimisme qui hante les états-majors : si les puissances impérialistes soutiennent publiquement l’objectif de libération totale du territoire ukrainien dont Zelensky a fait sa priorité stratégique, l’impasse militaire exige une solution politique qui s’accompagnera sans doute de concessions territoriales. Le discours apparemment anti-interventionniste de Trump s’accorde plutôt avec l’opinion d’une partie des commandements militaires qu’il ne la dément : en se désengageant, les Etats-Unis forceraient l’Ukraine à négocier avec Poutine, libérant les Etats-Unis d’une guerre coûteuse qui semble aujourd’hui ingagnable et risque de devenir un trou « noir financier » pour Washington.

Les dernières déclarations de Trump ne sont pas les signes avant-coureurs d’une alliance hétéroclite entre l’impérialisme états-unien et la Russie post-soviétique : elles tentent plutôt de faire pression sur les alliés de Washington pour augmenter la rente que les Etats-Unis tirent de leurs investissements de défense et de sécurité à l’échelle internationale. Elles témoignent également d’un changement progressif de stratégie au sujet de la situation ukrainienne, enlisée et coûteuse, en direction d’un progressif désengagement et d’une sortie négociée politiquement de la guerre russo-ukrainienne. Il est clair cependant que les formules sans filtre et brutales de Trump risquent de porter un coup à la crédibilité des Etats-Unis en tant que partenaire fiable, notamment pour les Etats les plus dépendants de la protection états-unienne.


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