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Xénophobie d'état

Loi immigration : surenchère raciste au Sénat, la droite surfe sur l’offensive répressive de Darmanin

Les sénateurs ont largement durci le projet de loi immigration, renforçant ses dispositions racistes et xénophobes avec le concours de Darmanin. Une droitisation indissociable de l’offensive autoritaire en cours contre le soutien à la Palestine.

Antoine Weil


et Mathias Lecourbe

10 novembre 2023

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Loi immigration : surenchère raciste au Sénat, la droite surfe sur l'offensive répressive de Darmanin

Crédits photo : Capture d’écran Sénat / BFM TV

« Si nous mettons en place la régularisation, nous incitons des personnes, de façon massive, à tenter la traversée vers la France » dixit Marion Maréchal. « Ce texte va organiser l’un des plus grands appels d’air de la Ve République » surenchérit Jordan Bardella. « Ce que nous voulons, c’est pouvoir régulariser l’ouvrier qui respecte les règles de la République et expulser l’étranger délinquant » explique de son côté Gérald Darmanin avant d’ajouter « j’ai besoin d’instruments nouveaux pour expulser des étrangers ».

C’est ce concert de phrases racistes et xénophobes qui a animé l’émission « L’Evènement » diffusée jeudi soir sur France 2 et dédiée à la loi Immigration actuellement discutée au Parlement, très partialement intitulée « L’Immigration : comment la maîtriser ? ». Une séquence télévisée ultra-réactionnaire qui symbolise bien l’ambiance dans la bourgeoisie autour de ce projet de loi. Discutée au Sénat depuis le 6 novembre, la loi immigration est en train d’être considérablement durcie par Les Républicains, avec le concours de Gérald Darmanin.

Fin de l’AME, restriction des aides sociales, expulsion après une condamnation : le Sénat poursuit le durcissement de la loi Immigration

Alors que le Sénat a clos ce vendredi 10 novembre l’examen du projet de loi Immigration, avant un vote solennel le 14 novembre, cette première session parlementaire a été l’occasion d’une nouvelle surenchère xénophobe sur fond de compétition entre le gouvernement, la droite et l’extrême droite.

La Chambre Haute a en effet adopté des amendements particulièrement réactionnaires, allant dans le sens d’un durcissement du projet de loi. Parmi ceux-ci, on peut citer la suppression de l’Aide Médicale d’État, mais aussi un durcissement des conditions d’accès au séjour pour des raisons de santé, l’instauration de quotas migratoires, le rétablissement du délit de séjour irrégulier permettant la criminalisation des migrants en raison de leur seule présence en France, le durcissement de l’accès au séjour et à la nationalité pour les étrangers mariés avec des Français, le versement d’une « caution » à l’État avant l’obtention du premier visa étudiant pour les étudiants étrangers.

Pour les étrangers arrivés en France avant l’âge de 13 ans, ou ceux y résidant depuis plus de vingt ans, le Sénat a décidé qu’ils seraient expulsables en cas de « condamnation définitive pour des crimes ou délits punis de cinq ans ou plus d’emprisonnement ou de trois ans en réitération ». Un retour de la « double peine » dans une version particulièrement répressive, pour un projet de loi qui vise à renforcer la stigmatisation répressive des étrangers, toujours bon à être expulsés après des années de vie en France. Enfin, des amendements proposent de fermer l’accès au RSA et aux APL pour les étrangers présents depuis moins de cinq ans en France. Une manière de rendre encore plus invivable un quotidien déjà rongé par l’instabilité et la pauvreté.

On note toutefois que les sénateurs sont prêts à faire une exception pour un type très particulier d’ « étrangers », à savoir les propriétaires de résidences secondaires sur le territoire français. Ces résidents fortunés, presque exclusivement originaires de pays occidentaux, pourraient obtenir de plein-droit un titre de séjour de longue durée. Un rappel s’il le fallait du caractère profondément raciste de cette loi. Cette version du texte particulièrement durcie par les sénateurs, doit encore être approuvée par l’Assemblée, dominée par les macronistes, dans les prochaines semaines. Certains points pourraient donc être revus par les députés, notamment l’article 3 sur les titres de séjour « métiers en tension » supprimée au Sénat. Cependant, les grandes lignes de ce texte xénophobe devraient rester, si l’on se fie à l’attitude de Gérald Darmanin pendant l’examen du texte.

Darmanin ouvre la voie à un accord avec la droite et se félicite des durcissements

S’il n’est pas encore certain que le gouvernement conserve l’entièreté des amendements du Sénat, Darmanin ayant déclaré jeudi soir sur France que lui, comme d’autres ministres, « ne souhaite pas » la suppression de l’aide médicale d’Etat décidée par le Sénat, le ministre de l’Intérieur a néanmoins donné des gages à la droite, résumant l’état d’esprit qui l’anime : « qu’on arrête le laxisme ».

Tout au long de la discussion au Sénat, le ministre de l’intérieur s’est en effet félicité de « co-construire » la loi immigration avec les Sénateurs Les Républicains et de l’UDI. En ce sens, nombre de mesures proposés par la droite pour durcir le projet de loi ont été appuyées par le gouvernement, rendant des avis favorables pour l’extension de la durée d’ancienneté du mariage requise pour acquérir la nationalité, ou la restriction pour accéder au regroupement familial. Ce vendredi, il s’est dans le même sens réjoui d’être parvenu à un accord avec la droite sur 4 articles du projet de loi, félicitant le sénateur LR président de la Commission des lois pour sa collaboration, au sujet de la « simplification » des procédures d’obligation de quitter le territoire (OQTF) notamment.

Au sujet de la suppression de l’article 3 sur les titres de séjours métiers en tension, Darmanin a même proposé à la droite de durcir sa propre mesure, expliquant que, plutôt que de la supprimer, les Républicains auraient pu « modifier les critères, les durcir (...) imaginer des quotas ». Une manière de dessiner les conditions pour un compromis futur sur cette mesure, que plusieurs députés macronistes souhaiteraient remettre en place. Le durcissement du projet de loi avec l’aval du gouvernement est tel qu’il pourrait mettre dans l’embarras les membres des Républicains à l’Assemblée nationale. Ces derniers, souvent davantage soucieux de se démarquer des macronistes, pourraient désormais être contraints de voter le texte, ou en tout cas sont fortement divisés sur la question.

Une surenchère raciste en pleine criminalisation du soutien à la Palestine

La trajectoire prise par cette loi, à la genèse déjà profondément réactionnaire et dont le gouvernement favorise aujourd’hui le durcissement est indissociable du contexte autoritaire actuel, entre criminalisation de la cause palestinienne et de ses soutiens et reprise en main autoritaire de ce derniers mois contre les jeunes de quartiers populaires ou issus de l’immigration. Que l’on pense aux condamnations « exemplaires » en réponse aux révoltes de juillet ou à l’interdiction du port de l’abaya dans les lycées, la nouvelle mouture de la loi Immigration propose d’en reconduire certaines dispositions. En ce sens, un amendement de la loi immigration propose un engagement de la part des parents étrangers à dispenser à leurs enfants une « éducation respectueuse des valeurs de la République » et à leur enseigner la langue française, avec le risque de perte du droit du sol en cas de « défaut d’assimilation »

Fragilisée depuis des mois par la contestation sociale, le gouvernement profite de la situation polarisée autour de la situation en Palestine pour avancer des mesures racistes. Compte tenu de la pression autoritaire et xénophobe actuelle, générée autour de la criminalisation du soutien à la Palestine, les secteurs les plus modérés de la majorité hostile à un durcissement de la loi, semblent avoir encore perdu en influence auprès de l’exécutif. Dès lors, ce ne sont pas les timides protestations de la gauche institutionnelle qui sont en mesure de faire infléchir sa loi raciste.

En effet, alors que plusieurs années en arrière la proposition de la déchéance de nationalité par l’exécutif socialiste Valls-Hollande avait provoqué une vive polémique et une réaction de la gauche institutionnelle, allant jusqu’à diviser au sein du Parti Socialiste, la loi immigration ne rencontre pas de franche opposition. Même à l’intérieur de la France Insoumise, seule force de la NUPES opposée à l’article 3 sur les titres de séjour « métiers en tension », des personnalités influentes s’adaptent au discours anti-migrant attisée par cette loi. Ainsi, François Ruffin, invitée à l’émission de France 2 sur l’immigration jeudi soir, a déclaré : « je suis partisan du ciblage [des migrants] : il s’agit de déterminer qui représente un danger ». Une concession scandaleuse au harcèlement policier que subissent les personnes exilées, et une curieuse manière de résister aux propos ultra-réactionnaires proférées par Bardella, Marion Maréchal ou Darmanin sur le plateau.

Dans une tribune publiée dans Libération en septembre dernier, plusieurs parlementaires de la Nupes allaient jusqu’à défendre la promotion du tri des immigrés, mettant en avant le caractère supposément progressiste des mesures pour « faciliter l’acès des personnes étrangères au travail » et d’une loi qui constitue une grave attaque contre les travailleurs sans-papiers. En pleine discussion d’une loi renforcée grâce au contexte répressif actuel, le Parti Socialiste, le PCF et EELV acceptent désormais de marcher aux côtés de Renaissance, des Républicains et du RN dans une « marche contre l’antisémitisme » aux airs d’union nationale réactionnaire, et qui va participer à l’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme pour soutenir Israël et son offensive génocidaire contre le peuple palestinien. Une caution de gauche dont on peut déjà prédire qu’elle permettra de redoubler la criminalisation des organisations politiques et associatives refusant de participer à cette mascarade, qui rappelle en outre l’intégration complète de ces partis au régime.

Le gouvernement cherche à contenir une colère sociale latente, motivée par l’inflation ou la situation en Palestine, en multipliant les offensives autoritaires et en se servant de la xénophobie et du racisme d’Etat comme armes de division massive de notre classe. Face à cela, le mouvement ouvrier dans son ensemble doit investir la lutte pour arracher le recul du gouvernement sur ses multiples projets xénophobes, et se battre pour arracher la régularisation sans condition de tous les sans-papiers.

Dans cette perspective, pour faire reculer le régime dans son escalade réactionnaire, il est urgent de lier la lutte contre ce projet de loi Immigration raciste à la mobilisation contre le massacre en cours à Gaza. En ce sens, l’enjeu des prochains jours est plus que jamais d’élargir le mouvement pour la Palestine et ses revendications, en impulsant des comités de soutien sur les lieux d’étude, de vie et de travail, comme cela existe dans les universités, notamment à l’initiative du Poing Levé et d’Urgence Palestine, pour offrir une riposte d’ensemble à l’offensive du régime.


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