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Edito

Répression syndicale, du jamais vu depuis l’après-guerre

Depuis la réforme des retraites, les syndicalistes font les frais d’une répression historique de la part du gouvernement et du patronat. Un véritable saut qui se double d’une offensive contre les conditions de vie et les droits des travailleurs.

Alexis Taïeb

1er mars

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Répression syndicale, du jamais vu depuis l'après-guerre

Peines de prisons avec sursis, amendes et coups de pression… tous les moyens semblent bons pour tenter de mater ceux qui ont relevé la tête ces derniers mois. Depuis la fin du mouvement contre la réforme des retraites, le mouvement ouvrier fait face à une offensive antisyndicale jamais vue depuis des décennies. En décembre, la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, faisait état de plus de 1 000 syndicalistes poursuivis en justice, dont au moins 400 énergéticiens et 17 secrétaires généraux.

Antisyndicalisme : une offensive inédite depuis la Seconde Guerre mondiale

Parmi eux, le secrétaire général de la Fédération Nationale des Mines et Energie (FNME-CGT), Sébastien Menesplier, a été convoqué par la police en septembre dernier. Une convocation symptomatique de l’ampleur de l’offensive actuelle, comme le note l’historien spécialiste du syndicalisme Stéphane Sirot pour Politis : « la dernière fois qu’un dirigeant syndical national a été convoqué par la police, c’était au début des années 1950, dans le contexte de la guerre froide et avec un PCF très fort et menaçant » Quelques mois plus tard, Myriam Lebriki, également membre du bureau confédéral de la CGT, était à son tour convoquée par la police en décembre dernier.

Mais au-delà du bureau confédéral, c’est bien l’ensemble du mouvement syndical qui est touché. C’est le cas au sein des secteurs les plus mobilisés traditionnellement, comme dans l’énergie, l’aéronautique, les transports ou dans les raffineries, à l’instar d’Alexis Antonioli, le secrétaire de la CGT Total de la raffinerie de Normandie, qui a été convoqué pour un entretien disciplinaire en septembre dernier. Mais c’est le cas également au sein de secteurs moins habitués à la mobilisation, à l’instar d’un représentant CGT local chez Lactalis à Clécy (Calvados) convoqué par sa direction le 1er décembre 2023 sous prétexte notamment de ne pas avoir porté ses gants.

C’est le cas enfin d’un nombre important de militants CGT locaux, comme à Rennes par exemple où trois membres de la CGT ont été traînés au tribunal ce 12 janvier. Accusés d’avoir jeté des poubelles sur des policiers, ils ont écopé d’une peine de 200 euros d’amende et de trois mois de prison avec sursis. L’un d’entre eux témoigne pour Politis du durcissement observé localement : « Avant, c’était bonne ambiance, on pouvait venir avec les enfants, on discutait avec les gendarmes ». Dorénavant, c’est menottes et convocations au commissariat.

Dans la même veine, le mouvement de solidarité qui s’est exprimé en soutien au peuple palestinien a été l’occasion pour le gouvernement de poursuivre son offensive antisyndicale. C’est le cas notamment de Jean-Paul Delescaut, secrétaire de l’Union Locale CGT du Nord, ainsi que d’une secrétaire administrative, qui ont été placés en garde-à-vue en octobre pour un communiqué dénonçant le génocide. De la même manière, Gaëtan Gracia, syndicaliste et militant à RP s’est fait convoquer en novembre par la police suite à des tweets de soutien au peuple palestinien.

Pour Stéphane Sirot, cette vague de répression résonne comme une « revanche » du pouvoir après le mouvement de la réforme de retraites, le plus massif depuis mai 1968, notamment à l’encontre des « secteurs les plus mobilisés » à l’instar du dirigeant de la FNME CGT.

Au-delà des poursuites judiciaires, l’attaque se double d’une offensive patronale. C’est ce dont témoigne pour Mediapart Patricia Drevon, secrétaire confédérale chargée des questions juridiques à Force ouvrière : « Depuis six ou sept mois, nous observons de plus en plus de licenciements de salariés protégés, validés par l’inspection du travail ». Même son de cloche du côté de la sénatrice PCF, Silvana Silvani, pour qui « 67 % des syndiqués perce[vraient] leur engagement comme un risque professionnel ».

Une dynamique répressive qui s’est particulièrement illustrée au mois de janvier, avec le licenciement du secrétaire de l’Union Locale CGT de Roissy, Nicolas Pereira, licencié par son entreprise Transdev, mais aussi avec la tentative du DRH d’InVivo Sébastien Graff de licencier Christian Porta, secrétaire de l’Union Locale CGT de Moselle et syndicaliste reconnu dans sa région.

Une offensive doublée par des attaques contre les conditions de vie et les droits des travailleurs

Corolaire de cette offensive antisyndicale, le gouvernement a également mené dès fin mars et début avril une offensive contre le droit de grève des salariés, avec les réquisitions de raffineurs en grève reconductible en plein temps fort du mouvement contre la réforme des retraites. Un précédent qui a ouvert une nouvelle porte au patronat pour réprimer les salariés et qui s’est déjà répété en décembre dernier, lorsque des grévistes d’ArcelorMittal ont été réquisitionnés lors d’une grève pour des augmentations de salaires.

Avec les Jeux olympiques en perspective, pour lesquels Darmanin a promis de « saturer l’espace public de policiers » et rêve de limiter le droit de grève, la surenchère autoritaire se poursuit. Ces dernières semaines, en prenant appui sur le bashing anti-cheminots et en réaction à un mouvement de grève à la SNCF, la droite sénatoriale a déjà proposé une loi qui autoriserait le gouvernement à interdire les grèves 60 jours par an sur un décret. Le gouvernement, prenant le train en marche, a lui défendu de « sanctuariser » certaines périodes dans les transports où les grèves seront interdites. Sur fond d’ambiance de chasse aux syndicalistes combattifs, ce sont tous les droits des travailleurs qui sont visés.

Tout en marquant clairement un saut dans la répression des mouvements sociaux, cette offensive se double d’une offensive brutale contre les conditions de travail et le Code du travail, dont la toute dernière illustration est la volonté du gouvernement d’octroyer la possibilité aux petites et moyennes entreprises de déroger aux accords de branches.

De la même manière, le gouvernement poursuit son offensive contre les plus démunis, à l’instar de la récente réforme de l’assurance chômage, de la suppression des Allocations de Solidarité Spécifique (ASS) ou encore de la réforme du RSA qui vient d’être étendue à 47 département ce premier mars. Cela dans un contexte où « la dégradation des conditions de travail est aujourd’hui une évidence », comme l’expliquait l’économiste Thomas Coutrot au journal Le Monde en décembre dernier. Une offensive qui participera à niveler l’ensemble des salaires vers le bas.

Pour les mois à venir, le gouvernement a également annoncé une loi Macron 2, tandis que le ministère de l’économie travaille sur une loi Pacte 2. Inspirées de lois passées durant le premier quinquennat Macron, elles promettent un véritable plan de guerre sociale, qui témoigne de la volonté de Macron de renouer avec son ADN historique, celui du rouleau compresseur néolibéral qui se donne pour objectif de rattraper le retard structurel de la France en termes d’attaques contre les travailleurs.

Un retard régulièrement dénoncé par le patronat, à l’image du président du MEDEF Sud en 2019, qui déclarait dans un billet consacré aux grèves dans les transports que « contrairement à la France, la plupart des pays qui nous entourent se sont dotés ces dernières années d’un important arsenal législatif pour se prémunir d’une telle situation et assurer la continuité des transports publics ». Et d’ajouter : « le gouvernement devra tôt ou tard faire preuve d’audace et d’autorité en s’inspirant des pays voisins ».

C’est le cas emblématique de l’Angleterre qui, dès les années 80 voyait Margaret Thatcher se faire élire avec un programme résolument antisyndical et contre le mouvement ouvrier. En 13 ans de mandat, elle promulgua pas moins de huit lois antisyndicales pour limiter considérablement le droit de grève. Aujourd’hui encore, l’Angleterre hérite de cet arsenal législatif et en janvier dernier, le gouvernement anglais annonçait une nouvelle loi anti-grève historique visant à instaurer un « service-minimum » à de nombreux secteurs de l’économie.

Plus largement « la vague néolibérale » des années 80 a ouvert une période d’offensive généralisée contre les travailleurs et de mise au pas des syndicats. Aux États-Unis par exemple, c’est toute une doctrine antisyndicale qui se constitue comme un secteur à part entière de l’économie, « comprenant des consultants, des juristes, des psychologues du travail et des entreprises de gestion de crise ».

Sur un autre terrain, dans certains pays d’Europe comme l’Autriche, le Royaume-Uni, la Belgique, les Pays-Bas, l’Irlande et Malte, le droit de grève n’est toujours pas garanti par la constitution. En Allemagne, les fonctionnaires sont interdits de faire grève et seuls les travailleurs syndiqués ont le droit d’exercer leur droit de grève. En Italie, dans les secteurs jugés essentiels, la grève est tout simplement interdite pendant les périodes de vacances scolaires. En Espagne, un service minimum dans le ferroviaire est en vigueur depuis les années 80. Tout récemment, en Finlande, le gouvernement a annoncé une loi « paix au travail », proposant de limiter la grève à 24 heures…

C’est d’un tel arsenal anti ouvrier dont rêvent le gouvernement et le patronat français pour les classes populaires. A titre d’exemple, dans son livre La grève en France, Stéphane Sirot comptabilisait entre 1998 et 2002 « pas moins de onze propositions de loi [qui] ont été déposées au Parlement pour imposer (…) l’obligation légale d’un service minimum ». Mais s’il a déjà fait de nombreuses tentatives en ce sens, une remise en cause plus frontale du droit de grève nécessiterait de la part du gouvernement un saut supplémentaire dans son offensive contre le mouvement ouvrier.

Face à la répression syndicale, il faut organiser la riposte !

Face à l’offensive en cours et à celle qui s’annonce, les directions syndicales ont misé sur un retour au « dialogue social » après la défaite de la réforme des retraites. Se refusant à proposer un plan de bataille permettant de construire un mouvement d’ensemble face au gouvernement, cette stratégie de pacification du mouvement social a ouvert un boulevard au gouvernement, qui a pu continuer à dérouler son agenda raciste et néolibéral ces derniers mois. Cette stratégie montre toujours plus son caractère délétère, tant le gouvernement joue en face la surenchère dans l’offensive.

Sur la question de la répression syndicale, les syndicats restent pour le moment l’arme au pied et se contentent d’accompagner sur le volet juridique les syndicalistes. Une stratégie inefficace tant la justice est une institution au service de l’ordre dominant. « C’est compliqué pour les syndicats, d’autant plus qu’ils sortent vaincus du conflit social contre la réforme des retraites. Le mouvement a échoué, et pour un mouvement qui échoue la répression est encore plus accentuée. Donc ces pratiques répressives sont aussi un écho de la faiblesse des syndicats » explique Stéphane Sirot.

Si la dénonciation de la répression syndicale et les mobilisations locales constituent un appui, celles-ci restent insuffisantes, alors même que des expressions de résistances ont lieu à la base et montrent la voie à suivre. Dans l’entreprise de Christian Porta, secrétaire de l’UL CGT Moselle, ses collègues sont en grève depuis trois semaines pour s’opposer à la tentative de licenciement dont il est la cible. A Roissy, plusieurs rassemblements intersyndicaux ont eu lieu pour exiger la réintégration du secrétaire de l’Union Locale. Dans le même genre, 90% des salariés en CDI d’un Carrefour dans les Hauts de France ont débrayé pour soutenir un de leur collègue, élu FO au CSE de l’entreprise et menacé de licenciement.

En dépit de l’absence d’appel à lutter contre la répression, une certaine combativité s’exprime, bien que son expression se limite à des luttes isolées, qui peinent à établir un rapport de force important pour obtenir des victoires. Dans ce contexte, briser l’isolement des syndicalistes réprimés en développant une coordination nationale contre la répression peut être une première étape pour construire une riposte ouvrière à la répression en cours.

Plus largement, cette lutte contre la répression devrait s’articuler à des revendications offensives et nécessaires dans la période, telle que l’augmentation générale des salaires et leur indexation sur l’inflation, ou encore le partage du temps de travail entre toutes et tous pour faire face à la remontée du chômage.

D’autant plus que la colère à la base est bel et bien présente. En témoigne un sondage IFOP en date du 26 janvier, dans lequel 49% des français se disent « révoltés » tandis que 78% d’entre eux pensent qu’aura lieu dans les prochains mois une explosion sociale.

Dans le même sens, alors que dans beaucoup d’entreprises les NAO (Négociations Annuelles Obligatoires) ont eu lieu ou sont en cours, les grèves pour exiger des augmentations de salaire à hauteur de l’inflation se multiplient. Depuis la rentrée, des grèves ont éclaté à la SNCF et à la RATP, dans l’Éducation nationale, à la Poste, dans l’industrie comme chez ArcelorMittal, Alstom ou Safran, ou encore à EDF pour ne citer que certains secteurs. Si la majorité de ces grèves restent confinées à échelle locale et s’épuisent parfois en l’absence de perspectives, celles-ci ne font que confirmer une colère latente.

Pour s’attaquer aux classes populaires, le gouvernement ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Face à un pouvoir radicalisé et déterminé à avancer son agenda néolibéral, il est plus que nécessaire pour l’ensemble des directions syndicales et des partis se revendiquant de gauche de faire front face à la répression. Une unité qui a commencé à s’exprimer autours du cas de Christian Porta, pour lequel une tribune de solidarité a réuni des figures telles que Sophie Binet, Frederic Lordon, Camille Etienne ou encore Mathilde Panot, et de nombreux militants syndicaux et politiques.


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