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Témoignages

« On est oubliées, on n’existe pas » : pourquoi les AESH sont-elles en grève ce mardi ?

Ce mardi, après une rentrée catastrophique, les syndicats de l'éducation appellent les AESH à faire grève pour exiger un meilleur statut et de meilleures conditions de travail. Ces travailleuses et travailleurs précaires témoignent de leur quotidien, leurs galères et leurs colères.

Andrea Desideri

3 octobre 2023

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« On est oubliées, on n'existe pas » : pourquoi les AESH sont-elles en grève ce mardi ?

Ce mardi, les syndicats de l’éducation appellent les AESH (Accompagnant·e d’Enfant en Situation de Handicap) à faire grève dans toute la France. En cause, comme l’indique le communiqué de l’intersyndicale, « sous le vernis, encore et toujours de la précarité  ! »

Si Gabriel Attal avait promis le recrutement massif d’AESH pour cette rentrée afin que « zéro enfant ne soit privé de rentrée », force est de constater que la casse néolibérale que son gouvernement poursuit dans l’Education nationale est incompatible avec cet objectif. Selon un rapport de l’Unapei, un enfant en situation de handicap sur quatre n’aura pas pu faire sa rentrée cette année.

En effet, il n’y a toujours que 125 000 AESH pour accompagner les 430 000 enfants en situation de handicap qui font leur rentrée dans l’enseignement cette année. Un ratio beaucoup trop faible pour que ce suivi se fasse correctement et permette un apprentissage dans de bonnes conditions. Plusieurs AESH témoignent : « Je suis la seule au lycée alors qu’on devrait être 5 ou 6 », explique ainsi Yasmina*, AESH à Aubervilliers. Armance*, AESH en région toulousaine, estime que malgré une vague de recrutements récente, « on arrive à un plateau et ils n’arriveront pas à recruter plus  ».

Et pour cause, les AESH - qui dans 90% des cas sont des femmes et sont souvent racisées - figurent parmi les travailleuses les plus précaires de l’Éducation nationale : payées au SMIC en début de carrière et suivant la même grille salariale que les AED, leur temps de travail est limité à 32h par semaine maximum. La plupart de ces femmes qui sont aussi mères de famille, souvent monoparentale, doivent composer entre le temps qu’elles accordent aux enfants dont elles ont la charge à l’école et les leurs. Beaucoup sont alors contraintes d’accepter ces temps partiels imposés et, payées 980€ par mois, de vivre sous le seuil de pauvreté (1102€). « Pour pallier au salaire de misère », Nassira* doit compléter ses revenus en travaillant en cantine.

En lien avec leur salaire, leur statut est également parmi les plus précaires. Les AESH sont contractuelles de l’Education Nationale, jamais titulaires de leur poste, et pour l’immense majorité en contrat CDD. Décrocher un CDI est souvent un parcours du combattant : Yasmina a signé le sien au bout de 14 ans de métier. C’est ce qui explique la pénurie dans la profession : en plus des difficultés de recrutement, les démissions se multiplient : « Ça me déchire le coeur, je me suis dévouée pendant 15 ans mais je compte arrêter », nous confie ainsi Yasmina.

Avec une pénurie d’AESH qui se combine à celle de l’ensemble du pôle médico-social dans les établissements scolaires et sans parler de la pénurie de profs, les AESH doivent prendre en charge les enfants « dont personne ne veut ». Alors que certaines débutent tout juste dans le métier, après un semblant de formation de 60h dans le meilleur des cas, elles se retrouvent à devoir prendre en charge des situations très lourdes : autisme, surdité, trouble de l’attention…. Yasmina se rappelle : « dès le début on m’a jetée dans la gueule du loup », avant d’expliquer à quel point elle n’était pas préparée pour ce métier. AÏssatou*, elle aussi AESH dans le 93, décrit un quotidien difficile pour des enfants dont le suivi est divisé entre différentes personnes, qui se retrouvent souvent livrés à eux-mêmes, alors même que le suivi des cours est extrêmement difficile voire impossible pour eux dans une école toujours plus en crise. .C’est dans ce contexte de tension extrême qu’un enfant « a failli [la] planter ». Aïssatou a craqué quelques temps après avoir commencé.

Mi-septembre, alors que la rentrée est déjà bien entamée, certaines AESH racontent qu’elles n’ont toujours pas la liste des enfants qu’elles doivent suivre, c’est à dire ceux notifiés par la MDPH (Maison Départementale des Enfants Handicapés) : « On est le 14, j’ai pas de planning, j’ai pas d’emploi du temps, on doit se démerder », dénonce Aïssatou. Toutes témoignent d’un trop grand nombre d’interlocuteurs hiérarchiques, une situation impossible qui se fait au mépris des besoins des enfants et des AESH. « Ceux qui sont derrière un bureau méprisent cette vocation », explique Yasmina, pointant du doigt le manque de considération et de reconnaissance de la part de responsables qui ne connaissent pas leur métier ni le terrain, et encore moins les enfants dont elles doivent s’occuper.

Ces travailleuses sont sans cesse baladées d’un établissement à un autre. Une situation qui n’a fait que se renforcer depuis la mise en place des PIAL (Pôles Inclusifs d’Accompagnements Localisés) en 2019, qui ont opéré une « mutualisation des moyens » par secteur géographique. En d’autres termes, les AESH sont maintenant affectées « à la demande », sur des établissements toujours plus nombreux, avec à leur charge des enfants aux niveaux très variés : « C’est moi qui suis dispatchée puisque j’ai le plus gros contrat, entre la maternelle, la primaire et le lycée : on m’envoie au casse-pipe ! », déplore Yasmina.

Une réforme des affectations des AESH qui n’a fait que renforcer la violence institutionnelle qu’elles subissent. Aïssatou décrit en effet : « On nous dit rien sur l’école, rien sur les petits qu’on doit accompagner ». Comme il n’y a souvent ni assistante sociale ni psychologue, les AESH ne peuvent compter que sur leur propre expérience pour deviner les handicaps et besoins des enfants dont elles s’occupent et assurer elles-mêmes un suivi éphémère, ce dernier prenant fin aussitôt que leur contrat se termine. En effet, depuis deux ans, ces travailleuses n’ont plus accès aux dossiers MDPH.

Beaucoup se sentent ainsi méprisées par l’administration : « On nous parle comme de la merde. Quand on me méprise comme ça, quand on sait pas qui je suis, ça fait mal. J’ai subi l’insupportable, l’injustice », nous confie Yasmina en fondant en larmes. Pour elle, le mal-être vient en premier lieu du manque de reconnaissance. Isolées du fait d’être éparpillées entre plusieurs établissements, elles sont tenues à l’écart de leur collègues enseignants qui ne sont d’ailleurs presque jamais formés à l’accueil des élèves en situation de handicap et à la coopération avec les équipes médico-sociales de leur établissement.

Pour répondre au manque de reconnaissance et la souffrance généralisée dans cette profession, il faut revendiquer un programme ambitieux, à la hauteur des enjeux auxquels font face ces travailleuses. Pour la grève du 3 octobre, l’intersyndicale revendique le fonctionnariat en catégorie B, l’augmentation des salaires, et l’abandon des PIAL ainsi que le projet des ARE. Mais face à une inflation galopante qui touche très fortement ces travailleuses, des hausses de salaires ne suffisent pas : il faut exiger l’alignement des salaires sur la grille des profs en plus d’une augmentation de tous les salaires de 400 euros et de leur indexation sur l’inflation ! Face aux classes surchargées et le manque de moyens, il faut limiter les élèves à 18 par classe et organiser des recrutements massifs d’AESH. Ces embauches doivent s’accompagner d’une formation solide des AESH afin de garantir une vraie inclusion de tous les élèves, mais aussi des autres personnels de l’éducation afin de rompre l’isolement des accompagnantes. Comme les enseignants, les AESH doivent bénéficier du statut de fonctionnaire, mais aussi d’un temps avec les élèves de 18h par semaine et suivre au maximum 2 élèves !

Pour faire en sorte que cette première journée de grève ne soient pas sans lendemain et que ces revendications soient victorieuses, tous les personnels de l’éducation doivent exprimer leur solidarité en soutenant la grève du 3 octobre, mais aussi en mettant en place dès maintenant des caisses de grève et en aidant à l’auto-organisation de ces travailleuses via des assemblées générales pour décider des suites du mouvement.

*Les prénoms des personnes qui témoignent dans cet article sont anonymisés.


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