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Mouvement étudiant

« On veut aller jusqu’au bout » : ces jeunes qui ne veulent pas s’en remettre au Conseil Constitutionnel

Partout en France, étudiants et lycéens étaient de nouveau massivement mobilisés cette semaine. Autoritarisme de Macron, violences policières, fausse-solution du Conseil Constitutionnel,... retour sur les raisons de la colère qui anime la jeunesse.

Erell Bleuen

9 avril 2023

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« On veut aller jusqu'au bout » : ces jeunes qui ne veulent pas s'en remettre au Conseil Constitutionnel

Crédits photo : Géraud D

Le 6 avril, 11ème journée de mobilisation contre la réforme des retraites, les étudiants et lycéens ont de nouveau gonflés les rangs des manifestations. A Paris, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Rennes, Lyon, mais aussi à Brest, Limoges, ou encore Besançon, les jeunes sont bien décidés à imposer une défaite à Macron. Le message scandé par les étudiants de Lannion jeudi a le mérite d’être clair : « Macron on sait où tu es, on va venir te chercher ! »

Ce jeudi, de nombreux établissements étaient bloqués et parfois de manière inédite : l’université de Rennes 1, par exemple, était bloquée pour la première fois depuis le mouvement contre le CPE en 2006. D’autres facs, elles, ont reconduit un mouvement déjà bien entamé, comme la fac de Paul Valéry qui est bloquée depuis désormais un mois et qui organisait jeudi soir un meeting de la grève. Mais par delà les disparités géographiques et sociales, c’est la même préoccupation qui anime tous les cortèges de jeunesse : battre en retraite le gouvernement et la société qu’il nous promet.

Un combat contre Macron, son autoritarisme et le système qu’il incarne

Le 49.3 a réveillé un vent de contestation profonde chez les jeunes, et a bouleversé la mobilisation dans les universités. Pour Naweg, étudiant à la fac de Sciences de Brest, « la brutalité du passage en force a clairement mis de l’huile sur le feu et le mouvement a passé un cap de colère ». Une situation similaire dans de nombreuses villes, comme à Dijon où « la mobilisation des jeunes s’est amplifiée après le 49.3, notamment avec des manifestations sauvages, ce qui est assez peu courant ici » nous raconte Quentin, doctorant à l’université Bourgogne-Franche-Comté.

Et aux rassemblements spontanés s’est couplé une arrivée massive des jeunes dans les journées de mobilisations nationales. A Dijon toujours, « on a vu la massification des cortèges, de monde qui soutiennent la cause mais qui n’avaient pas manifesté avant ». Même son de cloche à Nantes, où Plume, étudiante à l’ENSA explique : « le 6 avril, il y avait le cortège de l’école du travail social avec l’école infirmière, celui des archis et des beaux arts, celui des lycéens et celui de la fac ». Pour elle, c’est un moyen de symboliser « des secteurs distincts qui commencent à bien s’organiser et qui mettent en avant la multiplication de nos revendications ». Du côté de Brest, où les étudiants se mobilisent depuis le mois de janvier, « il y a une très bonne dynamique dernièrement, et les lycéens rentrent également en nombre dans la lutte » - en témoigne le blocage du lycée de l’Iroise jeudi matin.

Mais au-delà du nombre, c’est un changement de caractère qui a eu lieu dans le mouvement. S’il dépasse depuis longtemps la question de la réforme des retraites, il est désormais imprégné à large échelle d’une contestation des institutions, de l’autoritarisme du régime et plus largement encore, de la société dans son ensemble qui n’a plus rien à offrir à la jeunesse. A l’INSA de Toulouse par exemple, mobilisé pour la première fois depuis le mouvement du CPE en 2006, les étudiants questionnent le rôle qu’ils joueront dans le système une fois sur le marché du travail : « quand on sera en poste on n’aura pas notre mot à dire sur ce qu’on va produire car on sera soumis aux logiques du capitalisme. Dans ma promo plus personne ne veut devenir ingénieur ! ». Quant à Fouad, étudiant à l’université Sorbonne Paris Nord et mobilisé depuis le début du mouvement, il résume : « ce qui compte surtout, c’est de se dire qu’on porte en nous un espoir de voir les choses changer globalement. On est une génération qui va devoir affronter de grosses crises, et il va falloir qu’on soit activement en lutte. Si on lutte aujourd’hui, c’est pour un monde meilleur ».

« Contre la répression on arrêtera pas de lutter » : un chant lourd de sens pour des milliers de jeunes

Depuis le début du mouvement, le gouvernement craint qu’une mobilisation étudiante se consolide : dès janvier, les CRS ont réprimé les blocages des facs et des lycées, les présidences d’université ont fermé administrativement les campus pour empêcher des Assemblées Générales ou des occupations, et désormais, les violences policières sont devenues systématiques.

Pour Léandro, étudiant en deuxième année d’informatique à Lyon, c’est le symptôme que le gouvernement « veut museler le dernier moyen d’expression qu’ils nous reste, ils le font avec beaucoup de violence et en toute impunité ». Mais de son point de vue, la répression n’arrive pas à affaiblir la détermination des jeunes : « notre monde est dégueulasse, le dérèglement climatique va nous faire vivre l’enfer, il n’y a jamais eu autant de SDF dans les rues et ils continuent leur politique néolibérale en force. Si on veut avoir une vie un tant soit peu agréable dans le futur, va falloir se battre. Ils ont pas compris qu’on avait plus rien à perdre ».

Quant à lui, Quentin décrit des « effets » « un peu ambivalents » de la répression : « Je ne suis pas sûr que ça soit un élément qui fasse exploser la colère » mais ça suscite « le dégoût de l’institution, voire la peur pour certaines personnes, et ça participe au climat de défiance généralisé ». Pour autant à Brest, la mobilisation des jeunes a intégré la lutte contre les violences policières. « Ça occupe beaucoup les esprits tant la répression est choquante » nous confie Naweg. Il détaille que « se battre contre » les violences policières est « devenu aussi important que d’exiger le retrait de la réforme » : « voir des camarades se faire mutiler ou violenter alors qu’ils se battent pour l’avenir, et pour sauver leur parents de la mort au travail, ça déchaîne forcément une colère supplémentaire ».

Les jeunes ne sont pas dupes de la fausse-solution du Conseil Constitutionnel

Depuis le début du mouvement, l’intersyndicale a imposé onze journées de mobilisations isolées et continue de maintenir une stratégie de pression institutionnelle, alors que cette même stratégie a été mise en échec par le 49.3. Aujourd’hui, elle fonde tous ses espoirs sur le Conseil Constitutionnel et se prépare à accepter son verdict et sonner la fin du mouvement. Mais à la différence de Laurent Berger qui a expliqué qu’il « reconnaîtra sa décision », chez les jeunes, ce n’est pas le même état d’esprit qui règne.

Depuis Lyon, Léandro explique qu’il « n’a pas trop d’espoir à ce niveau là » de la même manière qu’il se dit « assez pessimiste d’une suite avec la Vème République » tandis qu’à Paris, Fouad nous raconte qu’il « n’attend rien de la justice et de ce que le Conseil Constitutionnel renverra comme décision de droit ». Pour Quentin, la ligne portée par l’intersyndicale interroge également sur sa stratégie : « l’espace des journées de mobilisation pose question ». « Ce qui fait réduire les espoirs dans le succès du mouvement c’est plutôt l’absence de ligne commune dans la lutte, qui commence à se voir de plus en plus » complète-il.

Retour dans l’Ouest de la France, dans l’école d’architecture nantaise, où « personne ne parle du Conseil Constitutionnel » selon Plume. Elle estime au contraire qu’« il y a la motivation de continuer jusqu’au bout, parce qu’on a conscience qu’on a réussi à arracher l’abandon du SNU et des augmentations de bourses, et qu’on peut arracher plus en continuant ! ». Pas question de s’arrêter à Brest non plus : « si la loi est validée, je pense que le conflit peut durer encore un moment, car cette réforme a créé une vraie fracture qui ne cesse de s’aggraver ». Et pour Naweg, la solution est déjà toute trouvée, et nécessite « d’œuvrer à créer un vrai rapport de force » car « c’est seulement par un mouvement massif de grève et de mobilisation des jeunes qu’on arrivera à gagner le retrait ».

La conscience de l’enjeu de construire une mobilisation commune entre étudiants et travailleurs existe très largement dans la mobilisation actuelle chez les jeunes, et constitue l’un des facteurs inédits du mouvement. A Nantes, une coordination lycéenne s’est formée cette semaine « avec une volonté de soutien aux secteurs en grève ». Lles étudiants de l’Université de Technologie de Compiège, dont la mobilisation en soit est historique, déclaraient eux aussi vouloir « rejoindre les piquets de grève pour montrer que les jeunes croient en leur lutte ». A Sciences Po Toulouse, « il y a aussi eu une prise de conscience entre les étudiants et les travailleurs, inspirée de mai 68 ».

Alors que Laurent Berger commence à vouloir siffler la fin de la partie, le mouvement aurait tout a gagner si la détermination des jeunes prenait le pas sur le calendrier et les revendications de la mobilisation. Un enjeu crucial, qui nécessite un saut dans la structuration et la coordination du mouvement étudiant. Dans ce sens, la Coordination Nationale Étudiante qui se réunit à nouveau ce week-end doit urgemment s’étendre à l’ensemble des campus mobilisés afin de pouvoir proposer une alternative à la stratégie de l’intersyndicale qui mène le mouvement vers la défaite.


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Erell Bleuen

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