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Analyse

Soutenir la résistance palestinienne est-ce soutenir la stratégie et les méthodes du Hamas ?

Après l’offensive palestinienne de samedi dernier le gouvernement et la presse française ont lancé une campagne de criminalisation des soutiens de la cause palestinienne. La manœuvre consiste à présenter le soutien au droit à la résistance du peuple palestinien comme un soutien politique au Hamas, et à ses méthodes.

Philippe Alcoy

11 octobre 2023

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Soutenir la résistance palestinienne est-ce soutenir la stratégie et les méthodes du Hamas ?

Israël est un État colonial créé de toutes pièces en 1948 par les puissances impérialistes, avec la complicité de la bureaucratie stalinienne de l’URSS qui entendait profiter de la division de la Palestine pour gagner de nouvelles zones d’influence. Ce projet impérialiste de création d’un État juif s’est appuyé sur des courants juifs sionistes existants et actifs depuis la fin du XIXᵉ, souvent encouragés par des dirigeants sionistes non-juifs véhiculant des idées antisémites : créer un État juif en Palestine pour aider à légitimer l’expulsion des Juifs d’Europe et des États-Unis. Certains Juifs non-sionistes dénonçaient même le projet de création d’Israël comme une façon de créer un « ghetto international ».

Cependant, progressivement le projet sioniste de création d’un État juif a pris une autre signification : après la Seconde Guerre Mondiale, Israël devait être une enclave coloniale au service de la préservation des intérêts impérialistes, tout en jouant le rôle de gendarme de ces puissances dans la région. Alors que la population juive ne représentait que 30 % de la population du territoire palestinien, la plupart des terres leur ont été octroyées sur la base d’un nettoyage ethnique des populations palestiniennes par des milices sionistes. Et depuis l’établissement de cet État, Israël n’a fait que conquérir de nouveaux pans du territoire palestinien à coups de guerres, d’offensives militaires et d’expulsions de Palestiniens, en 1967, en 1973 et depuis la fin des années 1990.

Les Palestiniens ont le droit de lutter contre le joug colonial de l’État d’Israël

Aujourd’hui les territoires palestiniens n’ont aucune continuité territoriale et sont totalement dépendants d’Israël qui exerce un contrôle presque complet sur des services vitaux comme l’eau potable, l’électricité et même l’aide humanitaire internationale. La population palestinienne vit dans une claire situation d’oppression coloniale et d’apartheid, comme le dénoncent des ONG reconnues au niveau mondial comme Amnesty International.

À cela il faut ajouter que la bande de Gaza vit sous blocus depuis 2007, dans la foulée de la prise du pouvoir par le Hamas dans le territoire, et qu’elle a subi six guerres sur cette période. Depuis l’an 2000, 10 500 palestiniens sont morts à cause d’interventions militaires ou d’actions policières israéliennes. Dans ce contexte, et malgré d’énormes souffrances et humiliations, le peuple palestinien n’a jamais cessé de résister et de se battre depuis la création de l’État d’Israël.

Leur droit à la résistance et à la lutte contre les agressions et attaques du colonialisme israélien est pour nous indiscutable. En ce sens, par-delà nos désaccords politiques avec les directions palestiniennes, nous défendons inconditionnellement ce droit, par tous les moyens qu’il trouve à sa disposition dans une situation aussi complexe, y compris la lutte armée. Sur ce plan, nous dénonçons l’assimilation de la résistance palestinienne au terrorisme. Nous considérons en effet que, dans le contexte de guerre permanente en Palestine, le Hamas doit être considéré comme un belligérant et non comme une « organisation terroriste ».

Cette dénomination est simpliste et tend à confondre la nature de cette organisation avec d’autres comme Daesh ou al-Qaida. Politiquement, comme le souligne notamment le journaliste israélien Larry Derfner, le Hamas est très différent de ces organisations. Le Hamas a été porté au pouvoir à la suite d’un processus électoral et son assise populaire est bien réelle. Il ne s’agit en rien d’un petit groupe coupé de tout lien avec la population. En outre, quand bien même le Hamas dirige Gaza de façon autoritaire, contrairement à Daesh, des minorités chrétiennes vivent dans le territoire qu’il contrôle.

Refuser la qualification de « terrorisme » ce n’est donc pas relativiser et encore moins justifier les crimes du Hamas contre des civils palestiniens et israéliens, mais empêcher que ne soit biaisée la lecture de la situation en Palestine. C’est d’ailleurs à ce titre que des universitaires comme Jean-Paul Chagnollaud défendent une telle position. De son côté, le journaliste Alain Gresh rappelle dans un édito récent : « on rappellera, une fois de plus, que nombre d’organisations terroristes, clouées au pilori au cours de l’histoire, sont passées du statut de paria à celui d’interlocuteur légitime. L’Armée républicaine irlandaise (IRA), le Front de libération nationale algérien, le Congrès national africain (ANC) et bien d’autres ont été tour à tour qualifiées de "terroristes", un mot qui visait à dépolitiser leur combat, à le présenter comme un affrontement entre le Bien et le Mal ».

Les définitions simplistes mobilisées par le gouvernement israélien et relayées par l’ensemble des gouvernements et médias impérialistes visent à conférer un semblant de légitimité à l’État israélien pour mener une guerre totale contre la population palestinienne sous prétexte de « lutte contre le terrorisme », et permettent aux États impérialistes de criminaliser tout soutien à la lutte palestinienne. Le premier responsable de toute violence est le pouvoir colonial d’Israël. Les atrocités commises par l’armée israélienne, ou par les colons qu’elle protège, contre les Palestiniens à Gaza, en Cisjordanie ou en Israël même, sont aux racines de toute violence commise par la résistance palestinienne. C’est précisément cela que, en France, le gouvernement et le chœur des médias à la solde des intérêts impérialistes prétendent occulter pour mieux empêcher toute mobilisation en soutien à la Palestine, et entériner la situation coloniale au Proche-Orient.

Les stratégies du Fatah et du Hamas en question

Au cours de sa lutte pour la libération nationale et son droit à l’auto-détermination le peuple palestinien a eu, et a toujours à sa tête des organisations avec lesquelles nous avons de profondes et radicales différences quant à leur projet politique, à leur stratégie et à leurs méthodes d’action.

La résistance palestinienne n’a pas toujours eu des organisations islamistes à sa tête. L’OLP (Organisation de libération de la Palestine), un front de plusieurs organisations palestiniennes dont le Fatah, a pendant longtemps été l’organisation hégémonique de la cause palestinienne, même si aujourd’hui elle se trouve dans une crise totale du fait de son rôle dans la signature des accords d’Oslo. Sous la houlette de Yasser Arafat, la signature de ces accords ont servi à brader la cause palestinienne, le droit au retour et la création d’un État palestinien et la transformer en un vague compromis qui a abouti à la création d’une fiction d’Autorité palestinienne sous tutelle israélienne. Organisation nationaliste de gauche, à la rhétorique parfois socialisante, l’OLP a fini par capituler, au fil du temps, face au colonialisme israélien.

À côté de l’OLP, à partir des années 1980, plusieurs organisations politico-religieuses liées notamment aux Frères Musulmans ont consolidé leur assise. Leur audience a augmenté quand les directions nationalistes traditionnelles et la gauche palestinienne perdaient du terrain du fait de leur politique. Israël a favorisé et aidé financièrement le surgissement de ces organisations islamistes comme le Hamas dans l’espoir d’affaiblir l’influence de l’OLP et les tendances plus radicalisées à gauche. Le Hamas a réussi avec le temps à s’imposer à la tête de Gaza en 2006 et tente depuis d’élargir son influence en Cisjordanie. Cependant, tout comme le Fatah, et malgré une politique moins ouvertement conciliatrice, la stratégie, les objectifs politiques et les méthodes de lutte du Hamas ne sont pas en mesure de répondre à la question de l’auto-détermination palestinienne.

Comme nous l’écrivions il y a quelques années, « tout en s’opposant à l’occupation sioniste, [le Hamas] mise sur l’alliance avec les gouvernements musulmans bourgeois, comme l’Iran ou le régime du Qatar qui ont constitué l’avant-garde contre-révolutionnaire contre le printemps arabe, pour qui le mouvement palestinien est une monnaie d’échange dans leurs transactions commerciales avec l’impérialisme. Le programme du Hamas visant à ériger un État islamiste est un projet politique réactionnaire ».

Ce caractère bourgeois et réactionnaire du Hamas n’est pas sans conséquences sur sa stratégie, ses méthodes et les actions qu’il mène contre l’occupation israélienne. Le 7 octobre, une partie des cibles des différents groupes militaire ayant percé les lignes israéliennes étaient des objectifs militaires (points de contrôles, casernements, positions de Tsahal, etc.) ou considérés comme tels (colonies construites sur des terres annexées après 1967). Cela a donné lieu aux scènes de liesse que l’on a vues, symbolisées par la destruction du mur de séparation de Gaza des territoires occupées et la neutralisation ou l’occupation temporaire de positions militaires ennemies reprises à une échelle jamais vue depuis 1973. Les images ont eu un énorme impact dans les rues des pays arabes où les populations considèrent la cause palestinienne comme leur propre cause. Mais les incursions ont également donné lieu à des exactions contre des populations civiles se trouvant sur place, dans les territoires occupés à la lisière de Gaza, qui ne pouvaient, en aucun cas, être assimilées à des objectifs militaires ou politiques.

Cette méthode de ciblage de la population civile israélienne est totalement réactionnaire et contre-productive pour la cause palestinienne : tirer sur des civils dans une fête est non seulement un crime que nous dénonçons, mais n’arrête en rien l’oppression israélienne. Au contraire, alors même que Nétanyahou et son gouvernement se trouvaient, ces derniers mois, en situation de difficulté, contestés par une partie de l’opinion publique israélienne, de telles actions ne peuvent que favoriser la reconstruction d’une unité nationale sioniste derrière le gouvernement, comme cela a toujours eu lieu, malheureusement, depuis 1948. Cela permet aujourd’hui au pouvoir de légitimer les représailles brutales contre les Palestiniens, et éloigne encore plus toute perspective d’unité de classe entre les travailleurs palestiniens et juifs.

À cela il faut ajouter que la politique militaire et répressive du Hamas à Gaza empêche le développement de l’auto-organisation des travailleurs et des masses palestiniennes dans leur lutte contre l’apartheid israélien. Ces dernières années, le Hamas a par exemple systématiquement réprimé les mobilisations sociales contre la misère dans la bande de Gaza, qu’il s’agisse de mouvements populaires dénonçant la corruption des autorités, les inégalités dans la bande ou le rôle de l’organisation dans une distribution clientéliste de l’aide humanitaire, ou de grèves de fonctionnaires locaux protestant contre les impayés et les retards de salaires. En ce sens, le Hamas joue un rôle d’obstacle à la construction de mobilisations de masse mais aussi à l’émergence d’organisations ouvrières et socialistes en Palestine, au même titre que le Fatah. Ainsi, par leurs objectifs politiques, leurs méthodes et leurs stratégies aussi bien le Fatah que le Hamas sont aux antipodes de ce que nous défendons.

Pour une stratégie ouvrière et révolutionnaire pour la libération nationale de la Palestine

En tant que révolutionnaires, inscrits dans la tradition du combat trotskyste, nous défendons le droit à l’auto-détermination nationale de la Palestine qui a été piétiné par les impérialistes et leurs complices de la région avec la création de l’État d’Israël sur la base d’une épuration ethnique des Palestiniens, mise en lumière par des historiens israéliens comme Ilan Pappé. La concrétisation de ce projet sioniste, qui s’arroge frauduleusement la représentation de l’ensemble des Juifs à travers le monde, a provoqué une profonde division entre les populations palestiniennes musulmanes et juives, mais aussi vis-à-vis des minorités chrétiennes arabes ou arméniennes qui habitaient la région depuis des siècles.

La Nakba, la grande épuration ethnique ayant présidé à la création de l’État d’Israël, les guerres successives, les expulsions et déportations, les accaparements des terres palestiniennes par l’État d’Israël ont aggravé cette situation jusqu’aujourd’hui. Actuellement, les Arabes des territoires palestiniens sont soumis à un véritable système d’apartheid et vivent sous occupation militaire ; les Palestiniens d’Israël sont des citoyens de seconde zone, voire pire, sans mentionner les millions de réfugiés palestiniens qui vivent dans des camps dans les pays voisins et dont le droit au retour est dénié.

Pour garantir les droits nationaux des Palestiniens nous nous battons pour un État ouvrier et socialiste, laïc, sur l’ensemble de la Palestine historique ; un État dans lequel Palestiniens musulmans ou chrétiens et Juifs ou citoyens actuellement israéliens puissent vivre ensemble, en paix, sans oppressions ni violences. Cela implique de s’attaquer aux bases matérielles de l’oppression et de l’exploitation des travailleurs et des travailleuses palestiniens, mais aussi des masses laborieuses juives : la propriété privée et les classes capitalistes en Israël mais aussi en Palestine, ainsi qu’aux intérêts des puissances impérialistes, premières responsables du drame qui perdure depuis 75 ans dans la région, sans parler de la complicité des bourgeoisie arabe qui, par-delà leur positionnement rhétorique de soutien à la cause palestinienne, n’ont cessé de la trahir pour mieux essayer, aujourd’hui, de normaliser leurs relations avec Tel-Aviv.

C’est pour cela que nous nous battons pour l’unité la plus profonde entre les travailleurs, la jeunesse exploitée et opprimée, les paysans et les classes populaires de Palestine et de l’ensemble du mouvement ouvrier du Proche et Moyen-Orient, mais aussi avec les travailleurs d’Israël disposés à rompre avec le sionisme dont ils sont, eux aussi, les victimes, en dernière instance, ce qui constituerait un pas en avant pour mettre fin à cette idéologie réactionnaire.

Ce programme et stratégie est totalement opposée à l’existence d’un État colonialiste, théocratique et suprémaciste juif comme c’est le cas d’Israël actuellement. Mais notre perspective s’oppose aussi aux perspectives illusoires, et réactionnaires, de la création de deux États ou encore à la création d’un État théocratique musulman à la place d’Israël ou même simplement sur les territoires palestiniens d’avant 1967, comme le revendique l’aile pragmatique de la direction du Hamas et qui se baserait sur une logique d’épuration et/ou d’oppression des opposants aux islamistes. Ce qui est certain, c’est que la première condition pour la coexistence pacifique entre Arabes et Juifs c’est la fin du système colonial et d’apartheid d’Israël. Et pour nous cela n’est possible qu’en se battant pour une Palestine libre, ouvrière et socialiste. Un projet qui n’est pas celui du Hamas et de ses alliés islamistes. Mais un projet qui implique, par principe, une pleine et entière solidarité avec la cause palestinienne, avec le droit au retour des Palestiniens, à leur auto-détermination et à la résistance contre l’oppression et l’occupation sionistes.


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