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MeToo Cinéma

Témoignage de Judith Godrèche : un éclairage brut sur les systèmes de domination dans le cinéma

L’actrice Judith Godrèche a récemment dénoncé les violences dont elle a été victime lorsqu’elle était mineure de la part de deux réalisateurs, Benoît Jacquot et Jacques Doillon. D’autres actrices ont révélé avoir également été victimes de ces deux cinéastes, éclairant une fois de plus l’ampleur des mécanismes patriarcaux dans le cinéma français.

Cléo Rivierre

13 février

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Témoignage de Judith Godrèche : un éclairage brut sur les systèmes de domination dans le cinéma

Crédits photo : France Inter

Dans plusieurs interviews ces derniers jours, l’actrice Judith Godrèche a révélé avoir été victime de viols et d’abus sexuels de la part du cinéaste Benoît Jacquot alors qu’elle n’avait que 14 ans et lui 39. Le réalisateur avait dirigé l’actrice dans son premier grand rôle, celui des Mendiants. Leur relation, qui aura duré 6 ans marqués par la manipulation et l’emprise, a laissé des séquelles profondes chez l’actrice. Dans sa série autofiction diffusée sur Arte, intitulée Icon of French Cinema, Judith Godrèche met en scène une relation amoureuse tumultueuse, débutée à l’adolescence, avec un réalisateur de 15 ans son aîné, sans toutefois révéler le nom de Benoît Jacquot. Un mois plus tard, la comédienne de 51 ans a levé le voile sur l’identité du cinéaste. Dans la foulée de la plainte de Judith Godrèche, ce sont également Julia Roy, Vahina Giocante, Isild Le Besco et Laurence Cordier qui ont décrit de la part du réalisateur des violences verbales, physiques et du harcèlement dans les colonnes du journal Le Monde.

Judith Godrèche a également révélé avoir été victime de viols de la part de Jacques Doillon en marge et au cours du tournage du film La Fille de 15 ans en 1987. À l’époque, elle avait elle-même 15 ans. Sur France Inter, la comédienne est notamment revenue sur une scène traumatisante lors du tournage. « Sur le tournage, c’était hallucinant. Il a engagé un acteur (…), il l’a viré et il s’est mis à la place. Tout à coup, il décide qu’il y a une scène d’amour, une scène de sexe entre lui et moi. On fait quarante-cinq prises. J’enlève mon pull, je suis torse nu, il me pelote et il me roule des pelles. » D’autres actrices ont également dénoncé Jacques Doillon, notamment Anna Mouglalis qui a quant à elle expliqué au Monde que Jacques Doillon l’avait « embrassée de force ».

Un éclairage brut sur les systèmes de domination au cinéma

Déjà, en 2017, Judith Godrèche avait rejoint les 93 femmes qui ont accusé le producteur américain Harvey Weinstein d’agression sexuelle. Ces noms de Jacquot, Doillon et Weinstein, mais aussi de Depardieu, Polanski, etc., incarnent un système de prédation engendré par les relations de domination, de pouvoir et d’exploitation au cœur du milieu du cinéma. Les plus puissants apprennent ainsi à mépriser, humilier voire agresser ceux – et surtout celles – qui sont plus vulnérables, et ce sans craindre de conséquences. Dans ce contexte, les cinéastes en vue sont amenés à considérer qu’ils ont tous les droits sur autrui : maquilleuses, techniciens, actrices (d’autant plus si ces dernières sont de très jeunes filles, à l’image de Judith Godrèche).

Dans l’industrie cinématographique, la réussite professionnelle est souvent conditionnée par les relations étroites avec des personnalités influentes, qui, malheureusement, exploitent fréquemment cette dynamique à leur avantage, en toute impunité. Le cas de Judith Godrèche et d’autres actrices victimes d’abus met en évidence les risques inhérents à la relation artiste/muse. Cette proximité, où un réalisateur détient un pouvoir et une influence considérable sur sa muse, crée un terrain fertile pour l’objectification et les abus. Cette dynamique peut conduire à un déséquilibre de pouvoir flagrant : l’actrice « muse » peut se retrouver en situation de dépendance par rapport au cinéaste, qui détient le pouvoir de façonner sa carrière. Cette asymétrie de pouvoir peut amener l’actrice à se sentir contrainte de céder à toutes les demandes du cinéaste.

La relation de Godrèche et Jacquot montre bien la profondeur de ces mécanismes de pouvoir, de manipulation, de dépendance et de contrôle : dans l’enquête du Monde, la mère de Judith témoigne par exemple : « C’était comme si elle était enfermée, il fallait demander la permission à Benoît pour tout, même pour qu’elle passe Noël avec moi. C’est lui qui décidait de tout, c’était une relation tyrannique. Alors que c’était encore une petite fille : elle avait un doudou. Je pense qu’elle n’a jamais été heureuse. »

Omerta

Tous ces mécanismes de domination, d’exploitation et de dépendance présents dans l’industrie cinématographique peuvent conduire les victimes d’abus à choisir le silence, même des années après les faits, et ce notamment sous la contrainte économique. En effet, des mécanismes tels que le statut précaire d’intermittent du spectacle sont des entraves à la libération de la parole : les artistes, devant atteindre un certain nombre d’heures pour bénéficier des allocations chômage, hésitent à dénoncer les violences qu’ils subissent de peur de compromettre leurs opportunités d’emploi et de perdre des contrats. Pour toutes les « petites mains » aux faibles salaires, cette contrainte économique pèse d’autant plus fort. Les victimes, qu’elles soient des muses idolâtrées ou des petites mains invisibles, se retrouvent toutes confrontées à la même réalité : être dominées et exploitées, et se taire en conséquence.

Mais l’omerta ne vient pas seulement de victimes qui se tairaient systématiquement : parfois, comme dans le cas de Judith Godrèche, il est aussi question de personnes qui osent parler depuis longtemps, mais dont le témoignage reste longtemps ignoré ; ou encore d’acteurs ou de réalisateurs dont tout le monde connaît très bien les agissements, mais qui sont couverts par leur position de domination. C’est ainsi que le silence persiste, en vertu d’une culture de l’artiste tout-puissant et du patriarcat qui prévaut dans l’industrie cinématographique.

MeToo Cinéma, la partie visible de l’iceberg

Comme nous l’écrivions plus haut, l’appartenance à un groupe privilégié confère aux agresseurs un sentiment de supériorité et d’invincibilité ; cela explique en partie pourquoi, dans les milieux bourgeois et artistiques, les violences sexuelles sont perpétrées et perpétuées. Les bourgeois prédateurs se fréquentent et se connaissent : si Beigbeder se permet de plaisanter avec Matzneff de l’abus sur mineurs, c’est qu’il trouve les violences sexuelles transgressives, puis se voit accusé de viol lui aussi. Une révélation en entraîne une autre : le psychanalyste Gérard Miller qui a filmé en 2011 les propos de Benoît Jacquot pour son documentaire « Les ruses du désir » se trouve à son tour accusé de viols et d’agressions sexuelles par 41 femmes qui ne pouvaient pas supporter l’imposture des excuses pour sa complaisance qu’il a essayé d’apporter à Judith Godrèche.

Mais si ces abus se produisent dans le monde du cinéma à l’encontre des actrices, on ose à peine imaginer ce dont peuvent être victimes des femmes précaires, immigrées, marginalisées, en situation de handicap... Ces dynamiques de domination, qui créent des individus qui se croient tout-puissants, ne sont pas simplement le fait des cinéastes, mais sont plutôt enracinées dans le système capitaliste, patriarcal, raciste et validiste qui prévaut dans notre société, système qui perpétue et reproduit ce mode de domination sexiste.

Après MeToo

Sept ans après l’arrivée de la première vague MeToo, les limites de la justice dans de tels cas sont manifestes, que ce soit pour des actrices célèbres ou, encore plus, pour des individus complètement anonymes, soulignant ainsi les limites d’une réponse purement pénale aux violences sexistes et sexuelles. En effet, la justice bourgeoise, raciste et patriarcale ne peut que reproduire les mécanismes de domination en vigueur dans la société. Ainsi, la justice sera faible avec les forts, et forte avec les faibles – et ce à l’image d’Emmanuel Macron lui-même qui, apportait en décembre un soutien sans failles à Depardieu, accusé de violences sexistes et sexuelles.

Cette complicité de l’État et de sa justice avec les puissants souligne l’urgence de dépasser la simple dénonciation des comportements individuels. A moins d’un mois du 8 mars et alors que depuis le début de l’année des millions des personnes ont été proprement indignés par les déclarations sexistes de Macron et par le cap « démographique » donné par son gouvernement, il y a une urgence absolue que la principale date féministe du printemps soit un terrain d’expression de toute notre colère féministe contre ce système patriarcal.


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