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Élections en Grèce

Abstention massive, victoire de la droite, chute de Syriza : comment interpréter les élections en Grèce ?

Ce dimanche avaient lieu les élections législatives en Grèce. Si la droite sort renforcée par ses résultats, l’abstention massive montre que la crise politique est loin d’être refermée dans ce pays qui a connu plusieurs éruptions de la lutte des classes ces dernières années.

Irène Karalis

27 mai 2023

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Abstention massive, victoire de la droite, chute de Syriza : comment interpréter les élections en Grèce ?

Crédits photo : Vue du Parlement grec / Jebulon

Avec 40,8% des voix, le parti du premier ministre sortant Nouvelle Démocratie (droite) est arrivé en tête des élections législatives en Grèce, devançant de 20 points Syriza et de près de 30 points l’ancien parti traditionnel de la gauche, le PASOK. Obtenant 146 sièges sur 300 au Parlement, le parti de droite n’a pas atteint la majorité absolue, ce qui l’empêche de former un gouvernement sans faire de coalition. Après les élections, chacun des trois partis arrivés en tête doit tenter de former un gouvernement en trois jours, chacun son tour. Si aucun des trois n’y parvient, ce qui est l’option la plus probable, le Parlement élu ce dimanche sera assermenté puis dissous, ce qui entraînera l’organisation de nouvelles élections et la mise en place d’un gouvernement provisoire.

Le premier ministre sortant Mitsotakis, qui a exprimé son refus de former toute coalition, a d’ores et déjà consulté les chefs de ses deux partis rivaux pour exprimer son intention de tenir de nouvelles élections « le plus tôt possible », probablement le 25 juin. Une manière de s’assurer la majorité absolue, puisqu’en vertu de la nouvelle loi électorale votée par le gouvernement, loi dite de « proportionnelle renforcée », en cas de convocation d’un deuxième scrutin, le premier parti s’assure une prime allant jusqu’à 50 sièges supplémentaires, tandis que cette prime s’appliquait dès le premier scrutin auparavant.

Si la suite reste encore incertaine et que le nouveau gouvernement n’est pas encore déterminé, il est déjà possible d’affirmer que la droite sort renforcée des élections. Avec 40,8% des voix et 2,4 millions d’électeurs contre 39,9% et 2,25 millions d’électeurs en 2019, Nouvelle Démocratie voit son score augmenter et obtient son meilleur résultat depuis 2007. Un résultat qui s’explique en partie par des promesses électorales et un discours démagogique fort déployé par le parti durant toute sa campagne, Mitsotakis ayant promis « plus d’emplois et de meilleurs emplois », un « système de santé plus efficace », proposant par exemple d’augmenter le salaire minimum de 25%.

De manière générale, les élections marquent un renforcement du bloc de droite et d’extrême-droite : en ajoutant les scores de Nouvelle Démocratie à ceux des formations ultra-réactionnaires ou d’extrême-droite — Solution Grecque, NIKI, Recréer la Grèce, EAN —, les forces électorales réactionnaires atteignent presque les 50%.

40% d’abstention : malgré les airs de stabilité, une crise politique toujours profonde

À l’international, en amont comme en aval des élections, la presse s’est empressée de dépeindre Mitsotakis comme celui qui est parvenu à redresser la situation économique de la Grèce. Le Financial Times explique ainsi qu’après « des années de sauvetage et de mesures d’austérité consécutives à la crise de la dette, l’économie grecque a connu l’une des plus fortes reprises de la zone euro après la pandémie de Covid-19. » Mujtaba Rahman, responsable du cabinet Europe d’Eurasia Group, abonde en ce sens dans les colonnes du journal : « Les perspectives économiques du pays semblent solides, et les investisseurs seront rassurés par un nouveau mandat de Mitsotakis, car la trajectoire économique de la Grèce à court et à moyen terme continuera de s’améliorer. » Dans la même veine, le journal pro-patronal Les Échos souligne la baisse du chômage, la hausse de la croissance et le rythme de désendettement du pays, « du jamais-vu dans l’histoire récente du Vieux Continent ».

Pourtant, la situation économique du pays et le niveau de vie de la population sont loin d’être aussi réjouissants. L’inflation dépasse les 10%, le salaire minimum est fixé à 780 euros et 34,8% de la population vit sous le seuil de pauvreté. En réalité, le redressement des chiffres cités par la presse internationale s’est fait aux dépens des conditions de vie et de travail des classes populaires et des travailleurs grecs, à coups de lois visant à augmenter les heures de travail et à prolonger la réduction des pensions de retraite mise en place pendant la crise économique, tout cela dans l’optique de libéraliser toujours plus le marché du travail pour le rendre plus attractif pour les investisseurs et de relancer l’économie sur le dos des travailleurs.

Dans ce contexte, le taux de participation d’environ 59%, à peu près similaire à celui des élections de 2019, exprime un discrédit toujours aussi profond du gouvernement et des institutions auprès de la population, qui subit depuis plus d’une décennie les politiques austéritaires imposées par le FMI et la BCE et appliquées de manière zélée par les gouvernements successifs. Un discrédit renforcé par les nombreux scandales et crises politiques qui ont émaillé le gouvernement de Mitsotakis.

Surnommé le Watergate grec en référence au scandale aux États-Unis qui a conduit à la démission de Nixon en 1974, un scandale d’espionnage a ainsi éclaboussé le gouvernement l’été dernier. Il a été révélé que les services de renseignements grecs avaient mis sur écoute pendant plusieurs mois Nikos Androulakis, le dirigeant du PASOK, troisième parti politique du pays, mais également des journalistes d’investigation, dont l’un spécialiste des questions migratoires et l’autre des affaires de corruption. Cette crise a entraîné deux démissions, celle du directeur du renseignement et celle du secrétaire général du bureau du premier ministre.

Le gouvernement de Kyriakos Mitsotakis a également été épinglé à plusieurs reprises pour sa politique sur les questions migratoires, avec comme dernier exemple en date les images révélées par le New York Times montrant plusieurs femmes, enfants et un bébé escortés vers la mer par des hommes masqués, embarqués sur un bateau, débarqués sur un navire des gardes côtes grecs puis mis à l’eau sur un bateau gonflable, laissés à la dérive et poussés vers les eaux turques. Cet exemple abject de « pushback » s’inscrit dans la droite lignée des politiques anti-migratoires du gouvernement, qui avait par exemple acheté des canons à son pouvant causer des lésions irréversibles afin de repousser des migrants aux frontières.

Surtout, le mandat de Kyriakos Mitsotakis a été ponctué de plusieurs vagues de lutte des classes. En 2020, une mobilisation nationale a secoué le pays contre la réforme des retraites du gouvernement. Pendant la pandémie, plusieurs centaines de lycées ont été occupés contre le manque de moyens dans l’éducation et pour exiger de meilleures conditions sanitaires pour étudier. En 2021, le gouvernement a dû faire face à une grève nationale contre sa loi travail visant à augmenter les heures de travail. En novembre 2022, c’est face à l’inflation et les bas salaires que les travailleurs et travailleuses grecs sont sortis massivement dans les rues et ont mené une grève générale de plusieurs jours. Dans la jeunesse également, plusieurs grandes mobilisations ont traversé le pays, notamment contre les violences policières et contre la loi instaurant une unité de police spéciale et des caméras de vidéosurveillance dans les universités.

Ces derniers mois, plusieurs journées de grève générale ont secoué le pays après l’accident de train qui a fait 57 morts le 28 février. Les 8, 13 et 16 mars, les travailleurs du rail, du métro et des trains nationaux et interurbains ont arrêté le travail, accompagnés de manifestations d’une ampleur qui n’avait pas été observée depuis des décennies. Pendant la grève générale du 16 mars, à l’appel des centrales syndicales des secteurs public et privé, les aéroports ont été vidés, aucun navire n’a quitté les ports reliant les îles et les trains, les métros, les bus et les taxis se sont arrêtés. La grève a été très forte dans le secteur public, dans la santé et dans l’éducation et des manifestations de masse ont eu lieu dans les principales villes du pays.

En réalité, la victoire de Mitsotakis aux élections de ce dimanche signifie que le gouvernement est parvenu à se maintenir malgré les différents scandales politiques qui l’ont épinglé et la forte contestation dans la rue, mais pas que la crise politique est refermée. Au contraire, face au renouveau de la lutte des classes dans le pays, le maintien de Mitsotakis au pouvoir et le renforcement de sa politique bonapartiste et répressive sont essentiels pour la bourgeoisie grecque. Pour autant, pour les classes populaires, la jeunesse et les travailleurs grecs, ce résultat n’augure rien de bon : poursuite des attaques contre la classe ouvrière et le mouvement étudiant, militarisation à marche forcée du pays et renforcement des tensions avec la Turquie sur fond de rhétorique nationaliste nauséabonde seront à n’en pas douter le lot du gouvernement des quatre prochaines années.

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Syriza s’effondre au profit du PASOK et du KKE

Dans le même temps, Syriza a fait 20,1% des voix, contre 31,5% en 2019. Avec seulement 71 députés au Parlement, Alexis Tsipras a qualifié ce résultat d’« extrêmement négatif » et a appelé son parti à « tout changement nécessaire pour mener la prochaine bataille électorale cruciale ».

La campagne électorale de Syriza a été émaillée de plusieurs sorties fortement critiquées, à l’image de l’ancien ministre du travail Giorgos Katrougalos qui a annoncé que Syriza augmenterait de 20% les taxes sur les bénéfices des professions libérales. Mais la sortie la plus remarquée a été celle d’Alexis Tsipras, qui a expliqué qu’il n’était pas fermé aux votes des électeurs du parti néo-nazi maintenant interdit Aube dorée, expliquant que parmi ces derniers, il y avait des « fascistes et des gens du peuples » qui, « à un moment donné, se sont emballés et ont voté pour un parti fasciste ».

En réalité, au-delà de ces déclarations qui n’ont pas aidé le parti à gagner des voix, le résultat du scrutin montre une déconnexion évidente entre la politique de Syriza et les aspirations de la population, dont une grande partie a toujours en mémoire la trahison du gouvernement de Tsipras en 2015 et la politique austéritaire et répressive qu’il a menée durant son mandat. Aujourd’hui, les résultats font office de désaveu pour Alexis Tsipras : malgré les quatre années d’attaques anti-ouvrières et autoritaires de Kyriakos Mitsotakis, malgré les différents scandales qui ont émaillé le mandat de ce dernier et le profond mouvement qui a fait suite à la catastrophe ferroviaire de Tempi, Syriza n’apparaît plus comme un moindre mal pour les travailleurs et la jeunesse. Et pour cause : durant tout le mandat de Mitsotakis et pendant la campagne électorale, le parti de Tsipras a mené une politique de compromission avec le parti au pouvoir et de recherche d’un consensus, dans un moment où le gouvernement était ébranlé de plusieurs crises politiques et sociales ; une politique qui s’est exprimée de manière criante quand Tsipras s’est empressé d’appeler Mitsotakis après les résultats électoraux pour le féliciter.

Dans ce contexte, d’autres forces politiques jusqu’ici en crise tirent leur épingle du jeu électoral, profitant de la chute de Syriza. Après une chute monumentale en 2019, le PASOK, ancien parti traditionnel de la social-démocratie grecque et premier artisan des politiques d’austérité au moment de la crise, fait ainsi un score de 11,46%, contre 8,10% en 2019. Un résultat qu’un cadre du parti socialiste interprète de la manière suivante : « La différence entre le Pasok et Syriza se réduit fortement. Cela signifie que le Pasok pourrait redevenir la deuxième force politique de Grèce. » Ces déclarations montrent de manière limpide le rôle de Syriza dans la réhabilitation du PASOK, et expriment un possible rebond des partis traditionnels grecs, à droite comme à gauche, même si l’installation de Syriza dans le paysage politique empêche le retour au bipartisme solide d’avant la crise de 2008.

De son côté, le KKE passe de 5,3% et 300 000 voix en 2019 à 7,23% et 425 000 voix aux élections de ce dimanche. Un résultat qui montre une envie de débouchés à gauche, dans le contexte de renouveau de la lutte des classes dans le pays, mais qui ne doit pas donner d’illusions sur le rôle du parti stalinien, qui a joué un rôle de contention durant les grèves qui ont suivi l’accident de train, refusant d’appeler à les intensifier à partir de ses positions syndicales phares et de proposer un programme et une stratégie à même de faire plier le gouvernement.

Construire une opposition par en bas de la jeunesse et des travailleurs grecs

Enfin, les élections législatives n’ont pas marqué de progression significative du côté des petits partis de la gauche et de l’extrême-gauche. Si beaucoup ont par exemple vu en MeRA25, le parti de l’ancien ministre des finances de Syriza Yanis Varoufakis, une « incarnation parlementaire des luttes » et la « matérialisation de la véritable gauche », son score qui a chuté, lui enlevant tout espoir d’avoir des députés au Parlement, a désillusionné ces espoirs et les tentatives de recomposition du néoréformisme. Du côté de l’extrême-gauche, les deux partis maoïstes KKE (M-L) voient leur score progresser de peu. ANTARSYA, coalition de plusieurs partis anticapitalistes, fait 0,54% contre 0,41% en 2019. Enfin, le parti trotskiste de l’OKDE voit son score progresser de quelques centaines de voix.

Alors que l’abstention a atteint les plus de 40%, ces scores ne reflètent pas la réalité de la lutte des classes dans le pays. Il est certain que le mandat du prochain gouvernement sera rythmé de nouvelles réformes antisociales mais aussi de nouveaux épisodes de lutte des classes. Dans ce contexte, il est essentiel de manifester toute notre solidarité avec le peuple grec et de continuer de préparer la riposte des travailleurs et de la jeunesse par en bas.


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