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Témoignage

"Je dors dans le même lit que ma tante pour pouvoir étudier à Paris". Lê, étudiante vietnamienne

Les débats autour de la loi immigration transforment les étrangers en chiffres, en quotas, et en menace abstraite pour les classes populaires françaises. Pour combattre cette surenchère réactionnaire, Le Poing Levé donne la parole aux étudiants étrangers. Voici le témoignage de Nguyệt Mỹ Lê, venue du Vietnam pour étudier la psychologie.

Le Poing Levé

27 décembre 2023

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"Je dors dans le même lit que ma tante pour pouvoir étudier à Paris". Lê, étudiante vietnamienne

Ce témoignage a été récolté dans le cadre d’une enquête nationale sur la précarité étudiante lancée par Le Poing Levé à l’automne 2023. Avec l’actualité de la loi immigration, qui s’attaque aux étudiants étrangers déjà en première ligne du mal-logement et de la pauvreté, nous avons décidé de publier une série d’articles leur donnant la parole et mettant en lumière leur quotidien. Pour participer aussi à l’enquête et témoigner, clique sur ce lien.

Bonjour, peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Nguyệt Mỹ Lê, je viens du Vietnam où j’ai appris le français dès la première année de primaire. Ici en France, je suis des études de psychologie à l’université Paris Cité où je suis actuellement en troisième année. Je voulais venir en France pour effectuer mes études parce que, lorsque je vivais au Vietnam, la France me paraissait merveilleuse et parce que la psychologie y est plus développée que dans mon pays, même si le service public ici est très mauvais.

Avec le vote de la nouvelle loi Immigration, comment vois-tu ton avenir d’étudiant étranger en France ?

Cette loi va rendre les études en France encore plus difficile. Je suis sérieuse dans mes études mais la caution m’inquiète car j’ai déjà une dette importante alors que la vie ici est cinq fois plus chère qu’au Vietnam.

C’est aussi une source de stress supplémentaire puisqu’après mon master je vais devoir trouver un travail, un logement, ce qui sera d’autant plus compliqué. Je voulais être auto-entrepreneuse mais avec le titre de séjour je n’y ai pas droit. En tant qu’étudiants étrangers on n’a pas beaucoup de droits, c’est difficile de trouver un travail avec des bonnes conditions. Pareil pour la naturalisation, il faut au moins un SMIC, mais dans le milieu de la psychologie dans lequel je veux travailler, il est difficile d’atteindre le SMIC car le métier d’enseignante-chercheuse ne paye pas beaucoup.

Comment es-tu arrivée en France ?

Il faut voir que même sans cette loi, l’arrivée en France et le quotidien sont très difficiles. J’étais mineure à l’époque où j’ai commencé les démarches pour venir étudier. J’avais envoyé un mail pour obtenir un titre de séjour, mais j’ai dû attendre un an pour obtenir un rendez-vous. Après avoir effectué les démarches, j’ai encore dû attendre plusieurs mois pour obtenir mon titre et je n’ai actuellement toujours pas de carte vitale. J’ai eu beaucoup de difficulté dans mes démarches depuis mon arrivée, ce n’est que très récemment que j’ai pu avoir des rendez-vous médicaux à l’université et y voir une assistante sociale. Depuis mon arrivée, le service dédié aux étudiants étrangers de l’université a été incapable de m’aider dans mes démarches administratives, j’ai dû me débrouiller par moi-même.

Ça également été dur de m’adapter, l’université ne m’a pas aidé, ce sont plutôt mes amis. Heureusement mon français est bon, j’ai participé à des concours de français au Vietnam qui m’ont permis d’avoir un bon niveau, mais c’est très difficile de suivre les cours tout en prenant des notes. Je connais beaucoup d’étudiants étrangers qui souffrent beaucoup de cela, ils ont du mal de suivre les cours.

Quel est ton quotidien en tant qu’étudiante étrangère ? Tes conditions de vie te permettent-elles de bien étudier ?

Ma tante me loge et me fournit de quoi manger. Ce n’est pour autant pas une situation idéale puisque je n’ai pas de chambre à moi : j’ai seulement un bureau et je dors dans le même lit que ma tante.

J’ai la chance de pouvoir compter sur mon père qui m’envoie de l’argent, mais j’essaie de ne pas trop dépenser parce que le Vietnam n’est pas un pays riche et je m’inquiète pour mon père. Aussi, je ne sais pas si ma tante, qui est à la retraite, continuera d’avoir assez d’argent pour m’aider comme elle le fait. Dans cette situation, j’essaye de dépenser le moins possible, alors je baisse le plus possible mes consommations. Au Vietnam je me lavais beaucoup mais ici je ne peux pas le faire aussi souvent.

Cela m’affecte beaucoup, c’est un stress constant. Parfois je me sens très seule. Je suis obligée de travailler beaucoup à l’université pour être à la hauteur de tout cet argent qui est dépensé par ma famille pour me soutenir.

Pour essayer d’améliorer mon quotidien, J’ai cherché à travailler cet été, mais malgré de nombreuses candidatures, je n’ai rien trouvé. Je n’ai pas non plus réussi à trouver de logement en résidence Crous, puisque j’ai été refusé. Je n’ai pas réussi à faire la démarche pour obtenir le repas à 1 euros, je bénéficie seulement de la complémentaire santé solidaire depuis quelques mois grâce à ce rendez-vous avec l’assistante sociale.

Comment vis-tu l’ambiance réactionnaire et la montée de l’extrême-droite ?

Je trouve la loi immigration raciste et discriminante. On contribue à la vie ici en France en tant qu’étranger on apporte des connaissances. On fournit beaucoup d’efforts : je suis par exemple déléguée de ma licence et je suis bénévole dans des associations, j’apporte de la diversité à l’université. Mais tout ça, ce n’est pas pris en compte car l’État considère toujours que l’on est une charge.

Ce discours raciste du gouvernement m’inquiète beaucoup. Au quotidien je ressens déjà une forme de racisme. Une fois, alors que je portais le vêtement traditionnel du Vietnam dans la rue, un homme m’a dit « sale pute d’arabe ». Parfois j’ai aussi l’impression que les gens pensent que je ne comprends pas les choses, comme si les étrangers étaient moins intelligents que les Français.

Je sais que c’est déjà difficile pour les Français de vivre. Mes amis sont par exemple obligés d’attendre longtemps pour obtenir le versement de leur bourse et pareil pour les logements Crous. Mais il faut montrer que les étudiants étrangers ne sont pas des charges pour la France, comme veut le faire croire le gouvernement, au contraire : on contribue beaucoup à la société.

Crédit Photo : Celette / Licence Creative Commons 4.0


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