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Analyse

Loi anti-grève dans les transports : une offensive historique se prépare au Sénat

Ce mercredi, le Sénat a adopté en commission un projet de loi sur le droit de grève dans les transports. Il s’agit de la première étape d’une offensive d'ampleur, autour de cinq mesures phares. On vous explique.

Andrea Prill

4 avril

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Loi anti-grève dans les transports : une offensive historique se prépare au Sénat

Après des mois de matraquage anti-grève et une succession d’initiatives législatives visant à restreindre ce droit dans le secteur stratégique des transports ferroviaires, c’est finalement la proposition du sénateur Hervé Marseille (UDI-UC) qui a été adoptée en commission au Sénat. Ce mercredi, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a voté majoritairement pour la proposition de loi « visant à concilier la continuité du service public de transports avec l’exercice du droit de grève ».

Le texte amendé sera soumis au vote dans l’hémicycle mardi prochain et comporte des mesures telles que l’interdiction de faire grève pendant des périodes définies, la fin des préavis dit « dormants » et des grèves de 59 minutes. Sous l’influence du rapporteur de la commission, Philippe Tabarot, qui avait lui-même déposé une proposition de loi « relative à l’encadrement du droit de grève et à la lutte contre ses abus dans les transports », la proposition initiale s’est enrichie de plusieurs amendements traduisant les obsessions décomplexées de la majorité.

Le texte, explicitement inspiré de la législation italienne citée comme modèle par le gouvernement depuis les grèves des contrôleurs de décembre 2022 et les mobilisations contre la réforme des retraites en 2023, dessine en effet une attaque de grande ampleur contre le droit de grève, autour de 5 mesures phares.

Interdiction des grèves pendant certaines périodes choisies par le gouvernement : une offensive historique

L’article 1er de la proposition de loi prévoit la possibilité pour le gouvernement d’interdire aux salariés des services de transport terrestre de voyageurs d’exercer leur droit de grève pendant les heures de pointe durant des périodes pouvant aller jusqu’à 7 jours consécutifs et dans la limite de 30 jours par an. Le gouvernement disposerait donc d’un quota de 30 jours d’immunité à la grève à répartir à sa guise en fonction de l’agenda social.

L’article s’appuie sur des notions volontairement floues et extensibles en feignant de restreindre cette interdiction de grève aux seuls agents « dont le concours est indispensable au bon fonctionnement du service » et aux périodes correspondant, outre les vacances scolaires, jours fériés et élections, à des « événements d’importance majeure sur le territoire français. »

En réalité, les entreprises du transport ont déjà démontré l’inutilité de ces faux garde-fous, comme à la RATP, qui a cherché récemment à catégoriser les chargés de communication dans les métiers indispensables au bon fonctionnement du service. Par ailleurs, le texte établit que les périodes d’interdiction de grèves seront établies « en concertation » avec les organisations syndicales représentatives dans les branches du secteur.

Ces dispositions ne remettent en rien en cause le caractère radical de l’attaque, qui ouvre une brèche d’ampleur dans le droit de grève en ouvrant la possibilité de l’interdire ponctuellement. Dans sa première version, la proposition de loi prévoyait d’assortir ces interdictions de sanctions qui traduisent la radicalité de ses auteurs : un an d’emprisonnement, une amende de 15 000 euros et une peine complémentaire d’interdiction temporaire d’exercer une activité professionnelle en lien avec un service public ! Finalement, des amendements visant pudiquement à « renforcer la constitutionnalité du dispositif » ont remplacé les peines pénales par des sanctions disciplinaires qui laisseraient le champ libre aux employeurs pour licencier les salariés grévistes.

Allongement des délais de préavis individuels et interdiction des préavis syndicaux « dormants »

Alors que le droit de grève des salariés des transports publics terrestres est déjà considérablement encadré par l’exigence d’une négociation préalable, d’un préavis syndical et d’une déclaration individuelle de participation à la grève, la proposition de loi vise à complexifier encore davantage la procédure afin d’empêcher toute grève spontanée.

Ainsi, le préavis individuel pour se déclarer gréviste, mis en place dans les années 2000 et 2010 pour limiter le droit de grève, passerait à 72 heures au lieu de 48 heures. Cette mesure extrêmement contraignante permet à la fois de limiter le nombre de grévistes et d’accorder aux employeurs un délai supplémentaire pour mettre en place des mesures afin de limiter l’efficacité de la grève.

Si cela ne suffisait pas, les sénateurs ont aussi prévu d’empêcher les « préavis dormants » en limitant la durée des préavis de grève syndicaux obligatoires dans le secteur des transports à 30 jours maximum. Ces préavis syndicaux, nécessaires à l’exercice individuel du droit de grève, deviendraient en outre caducs s’ils cessent d’être utilisés durant 48 heures par au moins deux agents.

Autrement dit, cette disposition aurait pour effet de contraindre les organisations syndicales à reprendre de zéro toute la procédure de négociation préalable en cas de conflit social. La portée de ces mesures reviendrait à faire de la grève un engin complexe et impraticable, avec une temporalité parfaitement inadaptée à la vitesse des offensives patronales et gouvernementales.

Suppression des grèves stratégiques de courte durée et réquisitions de grévistes

La proposition de loi s’attaque également à une pratique courante qui permet aux salariés de limiter la durée de leur grève, et donc de leur perte de salaire, tout en choisissant des horaires stratégiques pour en optimiser l’efficacité : les « grèves de 59 minutes ». Concrètement, le texte permettrait de dissuader les salariés grévistes en les contraignant de faire grève uniquement au début de leur prise de service et jusqu’à son terme, soit toute la journée de travail.

Enfin, dernière offensive et non des moindres : la possibilité pour les autorités organisatrices de transport (par exemple Ile-de-France Mobilités) de contraindre les entreprises de transport de réquisitionner des salariés. Les réquisitions de grévistes, massivement utilisées sous la présidence Macron, est un outil particulièrement brutal jusque-là réservé aux préfets. Sa banalisation et son usage assumé comme arme anti-grève est un signal alarmant de radicalisation du gouvernement et de sa majorité.

Une attaque inouïe à prendre au sérieux

Si cette proposition de loi s’inscrit dans la continuité des assauts lancés à chaque mouvement social et dans l’héritage de la loi de 2007, le texte d’Hervé Marseille constitue une attaque sans précédent pour les travailleur.euses des transports mais aussi l’ensemble de notre camp social, en créant un précédent pour attaquer l’ensemble des travailleurs du pays. Le calendrier n’est pas le fruit du hasard puisque cette offensive intervient à quelques mois de la période des Jeux Olympiques 2024 qui est directement citée par le texte de loi et qui ferait l’objet d’un régime dérogatoire afin de rendre l’interdiction de grève immédiatement applicable.

Porté par l’UDI, ce texte s’inscrit dans la continuité des offensives des dernières années contre le droit de grève, avec une banalisation croissante de l’usage des réquisitions et des appels réguliers à remettre en cause le droit de grève, et une répression syndicale brutale ces derniers mois. Dans une tribune pour Le Monde, plusieurs avocats en droit du travail soulignaient ainsi en février 2023 :

« les menaces de poursuites pénales, les incitations à la délation formulées par Emmanuel Macron lui-même, et les tentatives d’assimilation au « terrorisme » visent à criminaliser l’action des militants de la CGT-Energie et leurs opérations « Robin des Bois » pour décourager toute pratique gréviste imaginative et subversive qui emporte l’adhésion de larges pans de la population. Si l’Etat contrôle le temps de la grève et ses modalités, alors la grève n’est plus. »

La proposition de loi sera débattue en séance au Sénat le 9 avril prochain. Si son adoption définitive est loin d’être acquise, son inscription à l’ordre du jour ouvre déjà des débats dangereux, en contribuant à banaliser des discours et pratiques anti-grèves qui visent à désarmer celles et ceux qui ont démontré à de nombreuses reprises leur capacité à imposer un véritable rapport de force avec le gouvernement. Dans un contexte où la colère ne manque pas, il est urgent de se préparer à riposter à ces offensives imminentes. Le mouvement ouvrier ne peut pas laisser passer une offensive de cette ampleur, et doit construire une réponse à la hauteur de cette attaque.


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