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Afrique

Niger. Le gouvernement français déploie son arrogance impérialiste mais jusqu’à quand ?

La junte nigérienne demande le départ des militaires français du pays mais Paris refuse de reconnaître les putschistes. Or, les options se réduisent pour la France : cèdera-t-elle ou va-t-elle accélérer les préparatifs d’une intervention militaire de la CEDEAO ?

Philippe Alcoy

6 septembre 2023

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Niger. Le gouvernement français déploie son arrogance impérialiste mais jusqu'à quand ?

Crédit photo : Fort de Madama, novembre 2014. Niger. @Thomas Goisque

Après le renversement du président Mohammed Bazoum, le 26 juillet dernier, la junte militaire qui a pris le pouvoir au Niger a décidé d’annuler les accords de coopération militaire avec la France. La junte au pouvoir a donc demandé le départ de près de 1500 soldats français stationnés dans le pays. Parallèlement, l’ambassadeur français, Sylvain Itté, a été déclaré persona non grata et les autorités nigériennes ont exigé son départ. Depuis quelques jours maintenant les différents ultimatums posés par les militaires nigériens ont expiré. Cependant, le gouvernement français, refusant de reconnaître les nouvelles autorités nigériennes, a décidé de rester et exige le retour au pouvoir du président Bazoum. Cette attitude de la part des autorités françaises expose leur arrogance impérialiste, mais on peut se demander combien de temps Paris pourra résister à la pression non seulement des militaires mais aussi d’une grande partie de la population qui exige le départ de l’armée française.

Bazoum un président « légitime ». De quelle légitimité parle-t-on ?

Macron a multiplié les déclarations publiques tentant de justifier les positions de l’impérialisme français. Pour ce faire, le gouvernement français met en avant une supposé légitimité « démocratique » du gouvernement de Mohammed Bazoum. Cette légitimité démocratique supposée se baserait sur le simple fait que Bazoum a gagné des élections, sans jamais poser la question de la nature de ces élections, des irrégularités, et donc de leur légitimité réelle. Ainsi, la ministre des Affaires Etrangères, Catherine Colonna, dans un entretien lunaire au Monde explique à propos du refus de Paris de rappeler son ambassadeur : « Il est notre représentant auprès des autorités légitimes du Niger, accrédité comme tel, et nous n’avons pas à nous ranger aux injonctions d’un ministre qui n’a aucune légitimité, ni pour les pays de la sous-région, ni pour l’Union africaine, ni pour les Nations unies, ni pour la France ».

Ces mots expriment non seulement l’arrogance mais aussi le cynisme de l’impérialisme français. Dans cette région, il n’y a aucune démocratie, même formelle. Parfois, dans certains pays, il y a des élections, mais surement pas de « démocratie ». La campagne et l’élection de Mohammed Bazoum en 2021 a été elle-même contestée et entachée par une brutale répression provoquant au moins 500 arrestations et deux morts lors de manifestations de l’opposition. Plusieurs irrégularités avaient été pointées, des fraudes évidentes, le tout sous la bénédiction des organes régionaux. Tout cela sans mentionner le fait que seulement 4,6 millions de personnes ont participé aux élections sur un total de 23 millions d’habitants et de 7,4 millions d’inscrits, ce qui pose en soi des questions quant à la légitimité de n’importe quel gouvernement.

Bazoum est l’homme que l’ancien président, Mahamadou Issoufou, a choisi pour le remplacer ; il avait été ministre à plusieurs reprises d’Issoufou et ensemble ils ont fondé le Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme (PNDS). Pour s’assurer de la victoire de son dauphin, Issoufou avait réprimé ses principaux opposants. Ainsi, dans un article de 2021, La Croix citait Laurent Duarte du mouvement « Tournons la Page », qui déclarait : « au Niger depuis plusieurs années, l’espace civique est restreint. La campagne électorale en cours depuis plusieurs mois, qui devrait offrir la première transition démocratique entre deux présidents élus, n’altère pas ce constat. Depuis 2017, les nombreuses arrestations d’acteurs de la société civile et de journalistes, ainsi que l’interdiction quasi systématique des manifestations pacifiques ont fissuré l’État de droit ».

Deux coups, deux mesures

Voilà donc un pays « où les institutions démocratiques fonctionnaient », comme le déclare Colonna dans son interview au Monde. Cependant, l’hypocrisie du gouvernement français ne s’arrête pas là. Non seulement dans l’histoire récente nous pouvons trouver des exemples de soutiens et même de « partenariats » entre l’impérialisme français et des dictatures africaines. Le contraste entre l’attitude de la France à l’égard du coup d’Etat au Niger et celui qui a eu lieu il y a quelques jours au Gabon est saisissant.

En effet, même si la France a « condamné » le coup d’Etat, le ton est totalement différent : « Au Gabon, le processus électoral suscitait, comme en 2016, un certain nombre de questions. Dans un cas comme dans l’autre, nous agissons avec des principes simples. Le premier est de condamner les coups d’Etat et de trouver une solution démocratique à la crise. Le second, c’est que nous n’avons pas à nous substituer aux organisations régionales, en l’occurrence l’Union africaine et la Ceeac [Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale]. La ligne de la France, c’est d’être à l’écoute des Africains, pas de décider à leur place », déclarait à ce propos Colonna dans l’interview déjà mentionnée.

La réalité c’est que le coup d’Etat au Gabon ne semble pas trop inquiéter les intérêts français et le gouvernement de Macron en est bien conscient. Ainsi, l’ambassadeur français au Gabon a été reçu en grande pompe par le nouvel homme fort du Gabon pour le rassurer. Le site Gabon Review raconte sur cette rencontre : « contrairement à ce que craignaient certains ressortissants français au Gabon, le président de la Transition « a insisté sur sa volonté de poursuivre le partenariat avec Paris en rappelant que c’est le président déchu qui a, peu à peu, tourné le dos à la France en rejoignant le Commonwealth ». Alors que la Chine a vu ses liens être renforcés au cours des dernières années au point de devenir le premier partenaire commercial du Gabon aux côtés de l’Inde et de Singapour, le général de brigade aurait assuré le diplomate français que son pays retrouvera bientôt sa première place ». Voilà ce qui expliquerait l’attitude beaucoup plus « compréhensive » de la part du gouvernement français vis-à-vis des militaires gabonais.

Pourquoi la France agit de façon aussi agressive au Niger ?

Le coup d’Etat au Niger représente un véritable problème pour la France étant donné la tournure des évènements. En effet, depuis 2020 et le premier coup d’Etat au Mali puis le coup d’Etat au Burkina Faso, les positions de l’impérialisme français au Sahel ont été bousculées. Dans ces pays, les juntes militaires sont arrivées au pouvoir en grande partie comme une réponse à l’échec des opérations anti-terroristes que l’armée française mène dans la région depuis au moins 2012. Le Niger était devenu le pays le plus stable pour les intérêts de l’impérialisme français dans le Sahel et était vu comme une base de retranchement après les revers français au Mali et au Burkina Faso. De ce point de vue, même si Macron a mis fin officiellement à l’opération Barkhane, l’armée française conserve 1500 hommes dans la base aérienne de Niamey au Niger.

Le coup d’Etat au Niger est un véritable coup pour la stratégie française dans la région. Et cela d’autant plus qu’après les coups d’Etat au Mali et au Burkina Faso les juntes militaires de ces pays se sont retournées vers d’autres partenaires sécuritaires, à commencer par les mercenaires du Groupe Wagner liés au Kremlin. C’est cette voie que semblent emprunter les militaires nigériens. Autre inquiétude importante : si les militaires affirment leur pouvoir au Niger, tout le monde craint que la prochaine pièce du domino soit le Tchad, véritable pièce maîtresse de la stratégie sécuritaire française dans la région et de l’opération Barkhane : au moment de son déploiement, le poste de commandement interarmées avait été placé à N’Djamena. Tout cela explique sans aucun doute l’attitude hostile et belliciste que la France a adopté dans le dossier nigérien.

Les dirigeants français entendent faire passer l’idée que le mécontentement des populations africaines à l’égard de la France et la montée du soi-disant « sentiment anti-français » serait simplement l’œuvre de courants politiques et d’agents pro-russes et pro-chinois dans ces pays. Or, la réalité c’est que l’attitude arrogante et coloniale de l’impérialisme français explique largement cette situation. Non seulement il y a une abominable « histoire commune » de domination politique et financière, d’exploitation, d’oppression et de pillage de ressources par l’impérialisme français (ce n’est pas un hasard que les pays du Sahel soient parmi les plus pauvres au monde), mais il faut ajouter à cela que ces dernières années la France a mené des opérations militaires sans même tenir compte de l’opinion des dirigeants africains. Souvent la politique guerrière de la France au Sahel allait à l’encontre de l’opinion de secteurs des classes dominantes locales qui prônaient une approche plus négociée. C’est cela qui les a poussées à mener des coups d’Etat et à chercher de nouveaux partenaires sécuritaires.

Ce sont ces erreurs tactiques et stratégiques de l’impérialisme français qui mettent en danger ses positions dans la région. Des puissances intermédiaires régionales, la Russie, la Turquie ou la Chine profitent de ces brèches pour faire avancer leurs propres intérêts capitalistes. Les Etats-Unis, qui souvent soutiennent les opérations françaises dans la région ont eux-mêmes pris leurs distances vis-à-vis de la France afin de ne pas être entrainés par les reculs de l’impérialisme hexagonal. Par conséquent, les options pour la France sont de moins en moins nombreuses et plus la crise s’accentue plus elle sera tentée par une aventure militaire.

Tous contre les travailleurs et les classes populaires

L’échec des opérations militaires françaises n’est pas seulement un problème pour l’impérialisme français, il l’est aussi pour les populations locales, à commencer par les plus démunis. La militarisation de la région s’est traduite par la multiplication de milices locales, qu’elles soient islamistes ou répondant à des intérêts ethniques, se battant contre la France et ses alliés ou à ses côtés. Elle a aussi contribué à l’impunité des armées locales qui s’adonnent à tout type d’exactions au nom de la lutte contre le terrorisme et qui ont pris une place prépondérante dans les appareils d’État. La soi-disant « épidémie de coups d’États » résulte du renforcement des armées nationales tout au long de la dernière décennie : inévitablement les financements français et occidentaux finissent par renforcer les appareils militaires locaux et donc le pouvoir de certains généraux.

Comme nous l’avons déjà mentionné dans d’autres articles, si certaines ailes des armées nationales et des classes dominantes sahéliennes adoptent aujourd’hui un discours « anti-français », cela ne veut pas dire qu’elles sont devenues anti-impérialistes et encore moins qu’elles vont gouverner en faveur des travailleurs et des classes populaires. Souvent ces militaires s’appuient sur l’hostilité de la population à l’égard de l’impérialisme français pour gagner une base de légitimité pour leurs gouvernements et pour améliorer leur rapport de force face aux puissances impérialistes. D’autre part, ces mêmes militaires n’hésitent pas à chercher à soumettre le pays à d’autres puissances comme la Chine ou la Russie et, dans le cas du Niger, même à l’impérialisme nord-américain.

La France et ses alliés parlent de « légitimité démocratique » mais ils ne défendent que des intérêts réactionnaires, comme le démontrent les sanctions criminelles que la CEDEAO a imposé au Niger et qui sont en train de toucher durement la population. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), suite à la fermeture de la frontière avec le Bénin, 6000 tonnes de produits alimentaires sont bloquées ; depuis l’imposition des sanctions le prix du riz a augmenté de 21%, des millions de personnes sont menacés de famine et comme si cela n’était pas assez le Nigéria a coupé l’approvisionnement en électricité, une véritable méthode de « gangster ». La réalité est là : avec l’appui de la France et des bourgeoisies africaines, il n’existe pas de système démocratique qui aille dans le sens des intérêts des populations et des travailleurs africains. Dictature ou « démocratie-dynastie » comme celle des Bongo, ce qui intéresse la France et les puissances impérialistes, c’est la domination des pays et de leurs peuples.

L’arrogance française a par ailleurs récemment été malmenée par la mobilisation massive des Nigériens qui se sont postés devant la base militaire française de Niamey pour demander le retrait des troupes françaises. Contrairement à ce qu’explique le journal Le Monde, ce n’est pas tellement le soutien à la junte militaire que le rejet de la France et de sa domination qui a mobilisé massivement la population. Si la France devrait pour le moment maintenir ces trois bases actuelles dans le pays et ses 1500 soldats (contrairement aux messages catastrophés de la presse française), elle pourrait être obligée de rapatrier une partie de son matériel militaire présent dans le pays. Une première démonstration de la force que pourrait incarner la classe ouvrière et le peuple nigérien pour affronter l’impérialisme, hors du cadre des négociations secrètes entre l’Etat major français et l’armée nigérienne.

Face à cette situation, nous considérons que seule une politique indépendante des travailleurs qui remette en cause les bases du capitalisme semi-colonial du Niger et la domination impérialiste dans le pays et dans toute la région peut vraiment répondre aux intérêts des classes exploitées. En totale indépendance des militaires, le mouvement ouvrier en France a un rôle à jouer pour exiger le départ des troupes françaises de l’Afrique, l’arrêt des sanctions économiques qui affament la population nigérienne, mais aussi l’arrêt de toute menace d’intervention militaire de la CEDEAO pilotée par la France impérialiste. C’est de cette façon que le peuple nigérien, mais aussi malien, burkinabé, et de toute la région pourraient voir dans la classe ouvrière française un allié solide. Une base nécessaire pour que la colère contre la domination impérialiste française se transforme en une lutte pour l’autodétermination des peuples du Sahel, en toute indépendance des appareils militaires moribonds, et dans une perspective socialiste et dans les intérêts des travailleurs et des peuples.


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