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Patrons-pollueurs

Répression des opposants à Lafarge. L’Etat défend un méga-pollueur financeur de Daesh

Cette semaine, l’État a lancé une vaste opération de répression qui a mobilisé des unités anti terroristes à l’encontre d’une quinzaine de militants écologistes, accusés d’avoir participé à une action contre le cimentier Lafarge. Qui est ce géant du béton que l’Etat défend avec tant de véhémence ?

Youri Andre

9 juin 2023

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Répression des opposants à Lafarge. L'Etat défend un méga-pollueur financeur de Daesh

Crédits photo : Chad Davis.

Édit du 20 juin :
Selon le Monde, après une première vague de perquisitions et d’arrestations le 5 juin, la SDAT (Sous-direction Antiterroriste) a mené une seconde vague mardi 20 juin, interpellant au moins 7 personnes accusées d’avoir participé à des actions contre Lafarge. Dans un communiqué, Les Soulèvements de la terre dénoncent au moins 18 interpellations, qui interviennent la veille d’une possible dissolution du mouvement

Lundi 5 juin au matin, le gouvernement a lancé une vague d’arrestations et de perquisition contre des militants écologistes, interpellant et mettant en garde à vue une quinzaine de personnes qui ont été libérées jeudi. Avec cette vaste opération de répression, Darmanin a traduit en actes sa qualification d’ « écoterroriste » : ce sont entre autres des unités antiterroristes et la BRI qui ont mené cette opération.

Comme justification de cette répression, l’Etat avance la participation de ces militants à une action d’envahissement et de « désarmement » d’une usine Lafarge à Marseille fin 2022. Ce raid répressif intervient juste avant un weekend de mobilisation appelé par les Soulèvements de la terre contre l’extension d’une carrière Lafarge, et vise bien entendu à intimider les participants. Par cette opération, l’Etat vient une fois de plus prouver qu’il sera toujours du côté des patrons-pollueurs pour protéger leurs intérêts contre le mouvement social. Mais qui est donc Lafarge, que l’Etat défend avec tant de véhémence ?

Le groupe Lafarge, renommé LafargeHolcim après une fusion en 2015, puis devenu une filiale de Holcim en 2021, est le premier cimentier mondial. L’entreprise franco-suisse née de cette fusion est présente sur tous les continents, avec plus de 260 cimenteries et 600 carrières et un chiffre d’affaires de 26.8 milliards de dollars en 2021. Avant leur fusion, Holcim et Lafarge produisaient respectivement 174 et 205 millions de tonnes de ciment par ans qui, mélangées avec du sable de l’eau et des gravats, sont transformées en milliards de mètres cubes de béton pour le btp.

Lafarge, géant de la pollution

Comme l’explique The Guardian, « Après l’eau, le béton est la substance la plus utilisée sur terre. Si l’industrie du ciment était un pays, ce serait le troisième émetteur de CO2 avec 2.8 milliards de tonnes, dépassé uniquement par la Chine et les Etats Unis. ».

Ce matériau utilisé massivement est en effet extrêmement polluant. Le ciment, liant du béton qui fait la fortune de Lafarge est obtenu en chauffant à des températures extrêmes (environ 1450°C) un mélange de calcaire et d’argile dans des fours. Un processus très énergivore, qui en plus émet du CO2 lors de la cuisson, en raison d’une réaction chimique. Résultat : l’entreprise émet tellement de CO2 qu’en 2022 une équipe de scientifiques a estimé que LafargeHolcim était responsable d’environ 0,48% des émissions mondiales de CO2 entre 1950 et 2021.

Loin de se limiter à ces impacts, le béton engloutit des quantités monstres de sable et de granulats, que Lafarge extrait de carrières et des fonds marins, détruisant la biodiversité. Il nécessite également énormément d’eau. The Guardian rappelle ainsi : « le béton est un béhémoth assoiffé, aspirant quasiment un dixième de l’eau destinée à l’industrie au niveau mondial. Ce qui crée des tensions pour l’eau destinée à la consommation humaine ou à l’irrigation, car 75% de cette consommation est réalisée dans des régions touchées par la sécheresse le stress hydrique ».

Lafarge, ennemi des populations et des travailleurs

En 2021, des photos et vidéos de rejets polluants versés directement dans la seine par l’entreprise avaient fait la une de l’actualité. En plus d’émettre des quantités massives de CO2 et de détruire la biodiversité, la chaine de production du béton et du ciment est en effet source de nombreux rejets chimiques qui impactent la faune, la flore et les populations.

Rejets d’acide sulfurique et de déchets divers dans des cours d’eau aux Etats Unis, pollution aériennes aux particules fines et dioxyde de soufre tous deux dangereux pour la santé en Serbie, rejets du même type explosant les normes en France, impacts sur la santé des riverains d’une usine au Nigeria et en Zambie … Les exemples s’amassent à l’infini. Greenpeace Suisse a ainsi consigné dans un rapport « 122 cas de pollution environnementale et de violation des droits de l’homme dans 34 pays différents » par l’entreprise.

Pour baisser - sur le papier - son bilan carbone (sans doute également par soucis d’économie), Lafarge brûle dans ses fours à ciment toutes sortes de déchets. Dans un article sur une cimenterie marseillaise, Reporterre écrit : « La cimenterie brûle ainsi plusieurs types de « carburants » : coke de pétrole, bois, solvants, pneus… « Les cimenteries sont certifiées pour éliminer toutes sortes de déchets dangereux, dont des solvants issus des rejets d’autres industries chimiques. C’est autant un incinérateur qu’une cimenterie » ». Une pratique qui amplifie encore plus ces pollutions de l’air comme l’a par exemple documenté Zero Waste Europe en Slovénie, où Lafarge a gardé secrètes les informations sur la qualité de l’air pendant de nombreuses années, avec l’aide du gouvernement.

Et si les riverains sont touchés par ces pollutions, ce sont les travailleurs des cimenteries qui souffrent du pire des conséquences. L’exposition aux poussières de ciment entraine entre autre des problèmes de foie et des poumons ou encore des risques accrus de cancers. Des impacts sur la santé auxquels font également face les travailleurs du btp.

Lafarge et Daesh

Non content d’être un acteur majeur de la destruction de l’environnement, le groupe Lafarge s’est fait connaître au grand public il y a quelques années dans un scandale international concernant son financement de l’Etat Islamique en Syrie à partir de 2013.

Mediapart rétablit la chronologie des événements dans un dossier complet. A l’époque, Lafarge « détient en Syrie la plus grande et la plus chère usine de ciment du Proche-Orient ». Pour continuer la production et maintenir ses profits et la rentabilité de ses investissements sur place, la direction du groupe conclut un accord avec Daesh qui contrôle alors le territoire. Résultat : « la fabrication de ciment […] continuait toujours et Lafarge payait des terroristes pour protéger le site industriel », selon un rapport du Service d’enquêtes judiciaires des finances.

Malheureusement pour les truands de l’industrie du béton, l’affaire ne tardera pas à être révélée et à faire scandale, menant la multinationale devant les tribunaux. Le 18 octobre 2022, Lafarge a en effet reconnu devant les tribunaux étatsuniens « avoir financé pendant plusieurs années l’État islamique en Syrie dans le but de maintenir en activité une gigantesque cimenterie sur place » et devra pour ça payer une amende de 778 millions de dollars. En France, l’enquête n’est pas terminée et la mise en examen pour « complicité de crimes contre l’humanité », « financement du terrorisme » (entre autres) et toujours à l’ordre du jour.

En plus de l’avidité habituelle des grands capitalistes, cette affaire met en évidence la complicité de l’Etat français. Selon Libération, la DGSE était au courant de l’accord entre l’EI et Lafarge bien avant que l’affaire ne soit révélée dans la presse et finisse au tribunal. Une logique assumée par les mots de l’ambassadeur de France en Syrie au cabinet du ministre des affaires étrangères à l’époque : « il convient de protéger cet investissement français ». Dans la même lignée, à peine un an et demi avant l’inculpation de Lafarge pour financement d’une entreprise terroriste, l’Assemblée Nationale livrait un rapport proclamant l’innocence du groupe.

L’État et Lafarge ont donc collaboré afin de poursuivre la production en Syrie en finançant les guerres réactionnaires et la barbarie terroriste menée par Daesh. Ce soutien indéfectible de l’Etat envers le grand groupe se poursuit aujourd’hui logiquement avec la répression des militants écologistes qui s’opposent à ses agissements destructeurs.

Alors que l’Etat et Darmanin durcissent la répression contre les militants écolos, les multinationales à l’exemple de Lafarge constituent le principal danger pour la survie de l’humanité et de son environnement. Face à la répression d’un Etat toujours présent pour protéger le patronat-pollueur, les organisations du mouvement social doivent largement faire front et soutenir tous les interpellés et les réprimés.


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