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Argentine. Grève contre les attaques de Milei sur l’éducation : les enseignants ne font pas la rentrée

Les travailleurs de l'éducation en Argentine ont décidé de ne pas commencer l'année scolaire pour lutter contre les attaques brutales du Milei contre le secteur. Des mesures d'austérité qui touchent non seulement les salaires des enseignants, mais aussi les cantines scolaires, les infrastructures et le prix des fournitures scolaires. Et pour s'assurer de pouvoir mettre en œuvre ces attaques brutales, le gouvernement envisage également de déclarer l'éducation comme un service essentiel et de s'attaquer ainsi au droit de grève.

Carla Biguliak

24 février

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Argentine. Grève contre les attaques de Milei sur l'éducation : les enseignants ne font pas la rentrée

Deux mois et demi après le début du mandat de Milei, les attaques de son gouvernement contre les travailleurs se poursuivent sans relâche, tout comme le mécontentement social. Ces derniers jours, une augmentation sanglante de plus de 300 % du prix des transports a été annoncée, une dépense essentielle pour la classe ouvrière qui pourrait représenter plus de 30 % du budget d’un salarié qui vit avec le salaire minimum avec cette augmentation. Des salaires dévalorisés par une inflation brutale qui, pour le seul mois de janvier 2024, a atteint 20,6 % par mois, portant ainsi le glissement annuel à 254,2 %.

Dans ce contexte, le gouvernement de Javier Milei s’est acharné sur l’éducation. Il a baissé les salaires, annulé des apports budgétaires dans les différentes provinces, réduit le budget des cantines scolaires qui souffraient déjà d’une crise budgétaire du fait de l’inflation. Et comme si cela ne suffisait pas, il envisage également de s’attaquer au droit de grève en déclarant que l’éducation n’est plus un droit social universel, mais un « service essentiel ». Face à cela, la Confédération des travailleurs de l’éducation (CTERA) a appelé à la grève le lundi 26 février, jour de la rentrée des classes dans plusieurs provinces. La CGT, quant à elle, préfère continuer à accorder une trêve au gouvernement en évitant un appel à une grève générale réelle, alors que plusieurs syndicats pourraient appeler à des grèves sectorielles pour les salaires d’ici à la rentrée.

Salaires des enseignants, infrastructures et cantines scolaires, les principaux ennemis de Milei

L’attaque du gouvernement de Milei contre l’éducation commence par une coupe austéritaire majeure des salaires des enseignants. D’une part, le gouvernement national a décidé d’annuler la négociation entre les syndicats et l’Etat pour actualiser les salaires face à une inflation brutale. D’autre part, il a refusé de transférer aux provinces le budget alloué au Fonds pour les enseignants (FONID), une composante essentielle des salaires des enseignants qui, selon un rapport de de l’Observatoire des Argentins pour l’éducation, représentait 14,16 % du budget national de l’éducation en 2023 (prolongé jusqu’en 2024). Ce fonds bénéficie à environ 1,6 million d’enseignants du pays et a été créé à la suite d’une lutte exemplaire menée par les enseignants en 1998.

Cette mesure affecte considérablement le financement de l’éducation, car elle a pour conséquence que le ministère de l’éducation ne contribue pas financièrement aux provinces et oblige les gouverneurs à choisir entre attribuer des fonds supplémentaires pour les infrastructures ou les salaires sur leurs budgets provinciaux, ou mettre en œuvre des mesures d’austérité. En d’autres termes, chaque province doit se débrouiller avec ses propres budgets, ce qui génère de grandes inégalités en matière d’éducation et de salaires. On estime que la baisse des salaires avec la suppression du FONID pourrait varier entre 8 % et 20 %, ce qui, ajouté à une inflation mensuelle qui a dépassé 20 % au cours des deux derniers mois, signifie une réduction drastique des salaires des enseignants.

Ces mesures d’austérité brutales, dictées et saluées par le FMI dont la numéro deux rendait récemment visite à Milei pour le féliciter de sa politique, ont un impact non seulement sur les salaires et les infrastructures, mais aussi sur la réduction des budgets déjà limités alloués aux cantines scolaires. Dans un pays où plus de 60 % des enfants vivent dans la pauvreté et où les familles luttent quotidiennement contre une inflation toujours plus vertigineuse, les licenciements, l’augmentation du prix des loyers, de la nourriture et des transports, la cantine scolaire est souvent la principale — ou la seule — source d’alimentation pour de nombreux enfants. A cela s’ajoute une augmentation scandaleuse de plus de 450 % du prix des fournitures scolaires, qui conduit de nombreuses familles à choisir lequel de leurs enfants envoyer à l’école.

Éducation : du droit fondamental au service essentiel pour briser le droit de grève

Comme si ces attaques ne suffisaient pas, le plan tronçonneuse de Milei s’attaque également aux syndicats d’enseignants en tentant d’empêcher ou de limiter leur droit de grève en déclarant l’éducation comme « service essentiel ». Loin de signifier des investissements prioritaires et des budgets nécessaires, cette mesure implique la possibilité d’empêcher et de limiter les grèves au niveau national et provincial. Cette mesure est également soutenue par l’ancienne présidente Cristina Kirchner qui, dans son dernier communiqué, évoquait également la préférence des familles pour les écoles publiques où il n’y a pas de grèves d’enseignants, participant de ce fait à une politique de criminalisation du droit de grève dans le secteur, tout en soulignant son soutien à certains aspects du plan de Milei.

Bien que cette mesure ait été suspendue en raison du rejet de la loi omnibus et de la suspension du chapitre sur le travail du DNU, Milei cherche par tous les moyens à remettre en cause l’éducation en tant que droit social universel et à s’orienter ainsi vers un modèle éducatif au service du marché, méritocratique et individualiste. En ce sens, il a aussi besoin de travailleurs sans droits du travail, comme le proposent les organismes de crédit internationaux et les grands patrons.

Cela montre clairement que, loin de vouloir garantir une éducation de qualité aux enfants, la principale préoccupation du gouvernement est précisément de briser la force de la lutte des enseignants, dans la rue et à travers la grève. En effet, les secteurs des travailleurs de l’éducation ont incarné ces dernières années plusieurs luttes centrales contre les plans austéritaires en Argentine. A Jujuy, la base des syndicats d’enseignants a été en première ligne dans la lutte contre le gouverneur Gerardo Morales et sa tentative d’interdire le droit de manifester dans la Province. Il en est de même dans des villes où des secteurs combatifs se sont exprimés ces dernières années, comme à Neuquen ou à Salta. A Buenos Aires, les enseignants ont aussi été parmi les secteurs de travailleurs les plus représentés dans les casserolades et les assemblées de quartiers, malgré l’absence d’un appel à un plan de bataille par leurs directions syndicales. Le secteur de l’éducation est donc à la fois un secteur combatif mais qui souffre des attaques successives des gouvernements péronistes et de la droite traditionnelle, et que Milei vise désormais comme un des secteurs à fragiliser et à pousser à la privatisation. Il a besoin d’empêcher le droit de grève pour cacher non seulement la colère mais aussi la force des travailleurs organisés, et ainsi étendre les attaques contre les salaires des enseignants à l’ensemble des travailleurs.

Les travailleurs sont à bout, mais pour les syndicats, cela peut encore attendre

En réponse à ces attaques, les organisations syndicales ont annoncé une grève des enseignants pour ce lundi 26 février, jour de la rentrée scolaire dans plusieurs provinces du pays. Mais le gouvernement a répliqué en proposant une réunion entre les ministres provinciaux de l’éducation et les syndicats d’enseignants pour convenir de salaires minimums. Et les directions syndicales d’une grande partie des syndicats, négligeant la force des enseignants, se sont rapidement soumises à ce plan en levant la grève lundi. A cela s’ajoute la levée partielle de la grève du secteur de la santé en raison d’un accord qui n’atteint même pas les secteurs les plus précaires des cliniques privées, montrant une fois de plus que la CGT continue à accorder une trêve au gouvernement. La Confédération des travailleurs de l’éducation (CTERA), pour sa part, a ratifié la grève pour le lundi 26 février, mais a annoncé que celle-ci ne se prolongerait pas.

Du côté de l’opposition des enseignants d’extrême gauche, dont font partie les camarades du Parti des Travailleurs Socialistes — parti frère de Révolution Permanente —, ils insistent sur la nécessité d’un plan de lutte qui se poursuive par une grève et une mobilisation le 1er mars, jour de l’ouverture des sessions législatives par Milei. Ils proposent que le plan de lutte continue avec une grande grève le 8 mars, où l’on s’attend à une participation massive des enseignantes et des mères isolées, ainsi que d’autres secteurs de travailleuses. En effet, comme le soulignent nos camarades depuis l’arrivée de Javier Milei au pouvoir, il sera impossible d’infliger une défaite conséquente au gouvernement ultralibéral argentin sans un véritable plan de bataille qui unifie les différents secteurs en lutte, une politique à l’opposé totale de ce que proposent aujourd’hui les directions syndicales qui cherchent à cantonner les journées de mobilisations de chaque secteurs à des demandes corporatistes (salaires, budgets) tout en évitant d’appeler à des journées de lutte nationale. Chez les enseignants à l’Université, un appel à une journée de mobilisation a par exemple aussi été effectué. Des appels ont aussi été faits dans des secteurs comme ceux du nettoyage publique (très relié aux directions syndicales) ou chez les cheminots, bien que les directions syndicales cherchent à cantonner chacun des secteurs à ses demandes. L’enjeu est désormais de lutter pour un véritable plan de bataille qui unifie l’ensemble des secteurs de la classe ouvrière, ainsi que le renforcement des secteurs d’avant-garde au sein des assemblées générales de quartier, afin de construire un véritable plan de bataille depuis la base.

En même temps, ils jugent essentiel de renforcer les assemblées de quartier qui ont émergé avec force en réponse au projet de loi Omnibus et qui sont composées, entre autres, d’enseignants et de familles des écoles. L’idée est de coordonner des actions communes entre enseignants, familles et élèves pour répondre de manière organisée à toutes ces attaques brutales. A partir de là, ils pourront dénoncer l’ajustement des cantines et exiger une augmentation des rations, de la quantité et de la qualité de la nourriture fournie dans les écoles publiques et dans les quartiers. Ils pourront également se battre pour obtenir des fournitures scolaires pour chaque élève, des livres, des blouses, des vêtements et tout ce qui est nécessaire pour aller à l’école, ainsi que des tickets de transport pour tous les élèves et toutes les familles.

Depuis la France, avec un gouvernement qui s’attaque de façon ciblée à l’éducation pour faire passer toutes ses mesures autoritaires, rétrogrades, de tri social et d’austérité, il est indispensable de montrer notre solidarité avec la lutte de nos camarades argentins.


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