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États-Unis : des milliers de travailleurs de l’automobile entament une grève historique

Une lutte ouvrière majeure chez les trois géants de l’automobile, General Motors, Ford et Stellantis, s’ouvre ce vendredi. Elle pourrait impliquer jusqu'à 145 000 travailleurs et marquer un tournant dans le cadre de la vague de grèves des derniers mois aux Etats Unis.

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États-Unis : des milliers de travailleurs de l'automobile entament une grève historique

Crédit photo : Jeff Kowalsky @LeftVoice

Les États-Unis sont actuellement sur le point de connaître une grève historique qui pourrait impliquer près de 145 000 travailleurs de l’automobile, une mobilisation qui pourrait changer la donne pour la classe ouvrière américaine. Les géants de l’industrie automobile, à savoir General Motors, Ford et Stellantis, pourraient payer les conséquences d’années de précarisation des travailleurs, de baisses des salaires et de division en différents contrats précaires des effectifs de salariés.

Le syndicat UAW, Union Auto-Workers, le syndicat des travailleurs de l’automobile, l’un des plus grands syndicats du pays, mène la charge avec des revendications significatives. Ces demandes visent principalement à revenir sur les concessions faites par le syndicat aux entreprises après la récession mondiale de 2008, lorsque les trois grands de l’automobile ont été sauvés de la faillite grâce à l’intervention du gouvernement américain. Parmi ces concessions figuraient la mise en place d’un système de contrats différenciés basés sur les niveaux d’ancienneté des travailleurs, la suppression des retraites pour les nouveaux employés embauchés après 2007, et des augmentations de salaires minimales, voire inexistantes.

Une grève massive avec des revendications offensives

La lutte actuelle vise à mettre fin à ce système à deux vitesses qui consiste à diviser les travailleurs avec des contrats différenciés selon leur année d’entrée dans l’entreprise et leur ancienneté, ce qui aboutit à des situations profondément injustes où des travailleurs à temps-plein effectuant le même travail gagnent des salaires bien plus bas que leurs collègues. Aussi, la lutte pour abolir l’exploitation des travailleurs intérimaires qui travaillent à temps plein sans bénéficier des avantages sociaux correspondants, la restauration des pensions de retraites et l’augmentation des retraites pour ceux qui l’ont déjà prise ainsi que des hausses de salaire significatives pour faire face à l’inflation mais aussi l’arrêt des fermetures d’usines sont au centre des revendications des travailleurs de l’automobile. Les travailleurs de l’UAW ont également fait de la lutte pour la syndicalisation des futures usines électriques qui sont censées remplacer une partie du parc de production automobile une priorité, au regard de la volonté des trois grandes entreprises d’entamer leur transition vers la production de voitures électriques au plus vite, et ce bien évidemment avec des aides publiques massives. Enfin, l’une des revendications les plus audacieuses est la réduction de la semaine de travail à 32 heures tout en maintenant le salaire d’une semaine de 40 heures.

Cette grève s’inscrit dans le contexte des mobilisations ouvrières récentes aux États-Unis, notamment les actions des Teamsters d’UPS. L’interview d’un dirigeant syndical local dans l’émission « The Upsurge » souligne l’inspiration que ces luttes ont pu apporter à d’autres travailleurs. Bien que l’accord obtenu par les Teamsters ne soit pas qualifié d’ « historique », il a montré que la menace crédible de grève pouvait conduire à des gains significatifs pour les travailleurs. La grève imminente de l’UAW est également marquée par une montée de la conscience de classe et du soutien de l’opinion publique aux syndicats et aux campagnes de syndicalisation. Des initiatives telles qu’Amazon Labor United (ALU) et Starbucks Workers United (SBWU) montrent que de plus en plus de travailleurs se mobilisent pour leurs droits.

La grève des travailleurs de l’UAW pourrait devenir une crise importante pour l’administration Biden

Une réalité d’autant plus effective que cette grève pourrait avoir des implications majeures dans un contexte politique particulier. L’administration Biden est confrontée à des enjeux d’importance. L’impact potentiel sur l’économie est énorme, avec des estimations de pertes de 5 milliards de dollars en seulement 10 jours en cas de grève généralisée des trois géants de l’automobile. La Maison Blanche doit naviguer habilement entre le besoin de soutenir les travailleurs et la nécessité de maintenir la stabilité économique. Elle est par ailleurs vue d’un mauvais œil par une partie des travailleurs, notamment après avoir joué un rôle de briseuse de grève lors de la menace de grèves massives chez les cheminots l’année dernière qui avait donné lieu à une trahison des directions syndicales main dans la main avec le parti démocrate et plus récemment dans le cas de UPS.

L’UAW, en tant que syndicat puissant, est essentiel à la réussite de la campagne politique de Biden. Le fait que l’UAW n’ait pas encore officiellement soutenu la candidature présidentielle de Biden montre la complexité de la situation. Les démocrates doivent trouver un équilibre délicat entre le soutien aux revendications des travailleurs et la prévention d’une perturbation économique majeure, alors même que le grand patronat mène une campagne de pression très dure contre le gouvernement pour éviter toute concession possible aux travailleurs d’un secteur aussi important que l’automobile qui pourrait jouer un rôle de locomotive dans les luttes ouvrières aux Etats-Unis. Les enjeux pour l’administration Biden sont importants. Le président républicain de la Chambre des représentants, McCarthy, a annoncé sa volonté d’ouvrir une enquête de destitution à l’encontre de Biden. Trump continue d’être populaire, et les travailleurs sont toujours impactés par l’inflation qui touche de plein fouet les familles les plus précaires.

Face à l’une des grèves les plus importantes de l’histoire récente des Etats-Unis, l’urgence de l’auto-organisation

Aux Etats-Unis, le sentiment croissant de colère dans la classe ouvrière est un symptôme majeur de la crise du capitalisme américain et de la polarisation sociale du pays. Cette haine de classe s’exprime contre l’enrichissement massif des milliardaires depuis la pandémie et l’augmentation importante des inégalités, alors qu’une partie de la classe ouvrière voit sa situation se dégrader de jour en jour. Cette haine de classe et cette fierté des travailleurs de l’automobile doit devenir un moteur pour rompre avec les appareils réactionnaires des partis démocrates et républicains. Il existe d’ores et déjà un secteur de travailleurs qui cherche activement une alternative au capitalisme, suite à l’expérience de BLM en 2020 qui a apporté une nouvelle énergie et un nouveau dynamisme à la lutte des classes aux Etats Unis.

Une grève simultanée des trois géants de l’automobile ne s’est jamais produite. Elle pourrait ouvrir de nouvelles possibilités pour le mouvement ouvrier qui a montré les preuves de sa combativité dans un ensemble de secteurs comme dans la logistique ou encore récemment dans le monde du cinéma et de l’art. Un défi reste à relever quant au manque d’auto-organisation qui laisse encore la lutte des travailleurs aux mains des bureaucraties syndicales largement inféodées au Parti démocrate. Le président international de l’UAW nouvellement élu, Shawn Fain, porte un discours très radical, mais il fait partie de la bureaucratie syndicale qui n’est pas prête à mobiliser toute la puissance du syndicat, ni à rompre franchement avec le Parti démocrate et républicain pour proposer aux travailleurs de l’automobile de se mettre à la tête d’un véritable mouvement pour la défense des salaires dans le pays, contre le gouvernement et le patronat.

Par exemple, il propose une stratégie de grève qui ne ferait sortir que certaines usines « stratégiques » des trois grands, mais pas tous les travailleurs en même temps. Ce vendredi, les travailleurs ont ainsi débrayé sur trois sites, une usine de General Motors à Wentzville, un complexe de Stellantis à Toledo et l’usine Ford Michigan Assembly de Wayne, dans le cadre d’une action syndicale coordonnée. Bien qu’il soit probable que la grève dans les usines clés oblige les autres à fermer, cette stratégie laisse une trop grande marge de manœuvre à la direction pour trouver des alternatives et réduit le pouvoir du syndicat et des travailleurs en lutte. Cette stratégie est présentée comme une tentative probable d’apaiser les inquiétudes de la Maison Blanche qui craint une perturbation massive de l’économie, en particulier dans le contexte de la guerre en Ukraine.

La grève massive qui est sur le point de commencer pourrait ouvrir les voies à un véritable plan de bataille mené par la base de la nouvelle génération ouvrière aux Etats-Unis qui a prouvé sa combativité pour lutter pour la dignité. Si ce plan de bataille articulait la lutte de l’ensemble des opprimés et des exploités du pays, il pourrait être une base pour une mobilisation qui ferait reculer l’extrême droite et l’ensemble des projets réactionnaires de la bourgeoisie américaine.


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