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Face au tournant autoritaire

L’« État de droit » ne nous sauvera pas de la police

Face à la mobilisation pour l’impunité policière des dernières semaines, les appels au respect de « l’État de droit » et à la défense de la « séparation des pouvoirs », fréquemment adressés à Macron, se multiplient. Une approche qui charrie des illusions profondes sur le régime et nous désarme pour préparer la riposte.

Paul Morao


et Adèle Chotsky

1er août 2023

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L'« État de droit » ne nous sauvera pas de la police

À Marseille, après la mise en détention provisoire d’un policier de la BAC ayant tabassé un jeune, les policiers et leurs hiérarchies exigent sa libération et un traitement juridique d’exception pour les forces de répression. Ces derniers jours ce serait entre 300 et 700 policiers, soutenus par les syndicats policiers Alliance et l’UNSA police ou encore Unité SGP Police FO, qui se seraient mis en arrêt maladie ou en grève du zèle pour exiger sa libération à Marseille, soutenus par plusieurs centaines de leurs collègues dans tout le pays.

Une campagne de la part d’une police en première ligne pour imposer les offensives de Macron qui réclame la légalisation d’un régime d’impunité totale et a obtenu récemment l’appui de sa hiérarchie et même de Gérald Darmanin. Après avoir reçu cette semaine les syndicats de police, le ministre de l’Intérieur a en effet laissé entendre qu’il examinerait l’ensemble de leurs revendications, y compris les mesures d’exception qu’ils réclament.

Face à ce mouvement policier, des voix s’élèvent à gauche pour exprimer leur inquiétude. C’est le sens du communiqué de la NUPES publié ce 24 juillet qui en appelle « au rétablissement de l’ordre républicain dans la police et au respect de l’état de droit » et dénonce l’atteinte à « la séparation des pouvoirs [qui] est un fondement de notre République. » Des formules reprisent sous la plume des leaders de la gauche, de Jean-Luc Mélenchon à Olivier Faure, qui expliquait ce mardi 25 juillet sur France Inter que le Directeur Général de la Police Nationale (DGPN) et le préfet de police de Paris, en soutenant les policiers, « mettent au défi la République » et les « règles constitutionnelles ».

Des appels à la défense de la République, de « l’État de droit » et de la « séparation des pouvoirs » que l’on retrouve également dans Frustration magazine, qui explique dans un texte qu’« un État de droit a besoin d’une police strictement neutre sur le plan politique » et qu’« en appuyant les revendications de ses fonctionnaires, le directeur général de la police nationale a franchi une limite qui fonde ce que l’on appelle “l’État de droit” (qui n’est pas une garantie de démocratie, mais dont l’absence la réduit pour de bon en miette) : la séparation des pouvoirs. » Mais qu’est-ce que cet « État de droit » qui revient dans toutes ces déclarations et l’invoquer face au spectre d’un nouveau saut autoritaire est-il une solution ?

L’« État de droit » en question

L’« État de droit » désigne un régime dans lequel la puissance publique est soumise au droit, devant lequel les citoyens et l’État doivent être égaux. Il est ainsi fondé sur différents principes comme l’égalité devant la loi, la séparation des pouvoirs ou la soumission de l’ensemble des normes juridiques à une hiérarchie, au sommet de laquelle on place en général le bloc de constitutionnalité. Leur respect est censé garantir le bon fonctionnement des régimes démocratiques bourgeois.

De ce point de vue, il est logique que certains voient dans la remise en cause d’une décision de justice par la police, bras armé du pouvoir exécutif, et la revendication d’un nouveau droit d’exception pour les policiers, une offensive contre l’« État de droit ». Face à l’offensive autoritaire, mobiliser les notions d’égalité devant la loi ou de « séparation des pouvoirs » est censé permettre d’indiquer la gravité de la menace contre les droits démocratiques. Le problème, c’est que cette rhétorique tend à laisser entendre, d’une part, que ces principes affichés correspondraient à la réalité du régime, d’autre part, qu’un régime affaibli et confronté à des vagues de contestation successives pourrait renoncer de plein gré à l’extension de ses prérogatives.

Sur le premier aspect, force est de constater pour commencer que si la police réclame un régime d’exception « légal », celle-ci bénéficie déjà d’un traitement privilégié, démontrant que « l’égalité devant la loi » n’est rien d’autre qu’un vœu pieu. Comme le souligne Basta, sur les décès à la suite d’une intervention policière, les deux-tiers des affaires ne débouchent sur aucun procès. Parmi celles-ci, 39 % sont classés sans suite et 28 % débouchent sur un non-lieu. Dans le même temps, la loi donne aux policiers un pouvoir immense : c’est à leur appréciation que revient de constater l’existence des infractions. Avec l’invocation de la « légitime défense », c’est également le pouvoir d’appréciation sur l’usage des armes qui leur est donnée. Enfin, face à la justice, c’est la parole des policiers, à travers leurs procès-verbaux et leurs témoignages, qui a le plus de poids. Si la police exige une légalisation de leur impunité par la mise en place d’un « statut » spécifique, qui constituerait un saut qualitatif important, ce régime d’exception existe déjà dans les faits.

Si l’institution policière est un exemple emblématique, elle est par ailleurs loin d’être la seule institution qui démontre que les principes défendus par ceux qui mobilisent le concept de « l’État de droit » ne correspondent pas exactement à la réalité, et de moins en moins. La répression des révoltes dans les quartiers populaires a ainsi offert un exemple frappant de la « séparation des pouvoirs » avec la circulaire Dupont-Moretti. Envoyée aux parquets, le ministre de la Justice de Macron y demandait de façon très explicite un traitement judiciaire d’exception contre les jeunes des quartiers populaires en appelant « une réponse pénale rapide, ferme et systématique » contre les interpellés et ciblant particulièrement les mineurs. Une demande qui s’est traduite par les peines brutales déclarés contre des centaines de jeunes partout dans le pays.

Plus largement, la Vème République et sa constitution même remettent en cause le principe de « séparation des pouvoirs » censé être un garant de la démocratie bourgeoise et un rempart contre l’autoritarisme et l’arbitraire étatique. Tout au long du récent mouvement contre la réforme des retraites, on a ainsi vu combien la Vème République offrait de nombreux mécanismes anti-démocratiques, de l’article 49.3 à l’article 47.1, permettant à l’exécutif d’imposer sa vision au législatif. Plus largement, ce régime est marqué par une prééminence de la figure présidentielle donc de l’exécutif. Ces derniers mois, la presse internationale n’hésitait pas à relever cette situation. En mars, le Financial Times décrivait ainsi le poste de Président de la République comme « ce qui se rapproche le plus d’un dictateur élu dans le monde développé ».

Si l’ensemble des régimes dits « démocratiques » savent se doter de lois et de pratiques anti-démocratiques dérogeant aux principes affichés, la France constitue en ce sens la pointe avancée d’une pratique autoritaire du pouvoir. Ces éléments n’ont d’ailleurs fait que se renforcer ces dernières années dans un contexte marqué par des offensives systématiques contre les droits démocratiques. De l’état d’urgence en 2015 à l’inscription d’une grande partie de ses dispositions dans la loi en 2017 en passant par les lois sécurité globale et séparatisme de Macron en 2021, les dissolutions d’organisations et les interdictions de manifester, les mesures d’exception se systématisent. Celles-ci remettent invariablement en cause ladite « séparation des pouvoirs », par exemple dans le cas des dispositions de l’état d’urgence qui autorisent le gouvernement ou les préfets à prendre par voie administrative des mesures qui nécessitaient auparavant des décisions de justice. En clair, les fameux principes de « l’État de droit » se heurtent déjà très largement à la réalité de la démocratie bourgeoise, qui subordonne le maintien de ses quelques concessions « démocratiques » à la défense du système établi et des intérêts de la classe dominante.

Une invocation impuissante face au cours autoritaire du régime

Souligner ces éléments ne veut pas dire relativiser l’offensive en cours de la part des policiers. En réclamant un régime d’exception, ces derniers appellent à une légalisation de l’impunité dont ils bénéficient dans les faits qui permettrait de la systématiser. Cela constituerait un véritable appel à la démultiplication des violences et des crimes policiers et par là un saut dans l’autoritarisme. A ce titre, le sociologue Sébastian Roché rappelle que c’est « le mouvement des « policiers en colère », en 2016, qui avait débouché sur la loi de 2017 assouplissant le cadre d’usage de l’arme » qui a multiplié par 5 les meurtres dans le cadre de tirs sur des véhicules en mouvement pour des soi-disant « refus d’obtempérer ». On imagine sans peine les conséquences similaires si un nouveau régime d’impunité pour l’ensemble des policiers était adopté.

Cependant, opposer aux policiers « l’État de droit », c’est vouloir répondre à un danger réel avec des abstractions. L’invocation de ces principes laisse penser qu’un « retour » à une « démocratie réelle » serait possible, à condition que le gouvernement prenne des mesures. Or, l’offensive policière actuelle, quelle que soit son issue, fait système avec l’ensemble des expressions d’autoritarisme qui se déploient ces dernières années. Celles-ci ne tiennent pas seulement à la politique de tel ou tel ministre, mais expriment la logique de fond des institutions dans une situation de crise généralisée.

Contrairement au récit qui sous-tend le discours actuel de la gauche institutionnelle, l’État n’est en effet pas un outil neutre, garant de l’égalité entre les « citoyens », qui aurait déraillé entre de mauvaises mains, mais une machine destinée à maintenir le système capitaliste et la domination de la bourgeoisie sur la masse des travailleurs. Pour cela, il s’appuie à la fois sur la construction du consentement de la population et sur la coercition. La forme « démocratique » du régime, qui laisse croire à la majorité de la population que l’orientation de la société est entre ses mains au travers du vote au « suffrage universel » est un élément central de l’élaboration du consentement, charriant des illusions puissantes et persistantes, comme la gauche institutionnelle le prouve une nouvelle fois. La police et l’armée sont de l’autre côté, les piliers sur lesquels s’appuie la violence étatique, pour maintenir par la force les inégalités et la domination d’une classe sur une autre. Dans un contexte que Gramsci qualifierait de « crise organique », c’est-à-dire de crise généralisée de l’État et des outils sur lesquels il s’appuie habituellement pour organiser ce consentement (syndicats, associations, partis, etc), la coercition joue un rôle toujours plus central, et avec elle la police.

C’est pour cette raison que cette institution bénéficie de privilèges croissants, dans un contexte d’incapacité du capitalisme à retrouver la voie de la prospérité depuis plusieurs décennies, sapant les bases économiques des compromis qui permettent habituellement de mettre de l’huile dans les rouages d’un système fondé sur l’exploitation et l’oppression. La bataille des retraites a été de ce point de vue exemplaire des tendances générales de la situation, marquée par une radicalisation du pouvoir sur fond de déclin de l’impérialisme français, de nécessité pour la bourgeoisie d’avancer dans les contre-réformes néo-libérales en période de crise et d’aiguisement de la lutte des classes. Celles-ci ont donné lieu à une bataille menée par un front syndical très large dirigé par la CFDT, qui avait été une alliée centrale du gouvernement dans la précédente tentative de contre-réforme des retraites, et mobilisant des millions de travailleurs qui ont fait l’expérience du caractère anti-démocratique du régime.

Tous ces éléments mettent à nue la réalité brutale de l’État et son rôle réel d’appareil de domination au service de la classe capitaliste. Non, « la police ne met pas fin à l’État de droit » comme l’affirme Frustration. Pour paraphraser Brecht, le nouveau saut autoritaire qu’elle réclame n’est pas « le contraire de la démocratie », mais son évolution en temps de crise. En appeler à la « séparation des pouvoirs » ou « l’égalité devant la loi » dans une période où la réalité des institutions a rarement été aussi palpable ne fait qu’obscurcir la discussion et dessiner des perspectives impuissantes. Comme le soulignait Trotsky, « la bourgeoisie opère par abstraction ("nation", "patrie", "démocratie") pour camoufler l’exploitation qui est à la base de sa domination », aussi « le premier acte de la politique révolutionnaire consiste à démasquer les fictions bourgeoises qui intoxiquent les masses populaires. »

Des illusions dangereuses dans une voie institutionnelle

S’il est essentiel d’en finir avec les illusions sur « l’État de droit », c’est parce qu’il ne s’agit pas seulement d’une impasse mais d’un véritable danger. Dans un moment où le régime se durcit, son invocation sème l’espoir d’une solution pacifique à l’offensive autoritaire et participe à relégitimer les institutions. La stratégie dessinée ces derniers jours pour s’opposer à l’offensive policière est particulièrement claire dans la bouche de Jean-Luc Mélenchon ou d’Olivier Faure : il faudrait que les responsables des institutions, à commencer par le gouvernement, « réaffirment l’autorité de l’État » face aux policiers militant pour le droit de tuer, afin d’en revenir à la « normale ».

Concrètement c’est Macron et Darmanin que la gauche a placé ces derniers jours devant ce qui serait « leurs responsabilités ». Dans une vidéo où il évoque Macron, Jean-Luc Mélenchon expliquait ainsi sans détour la semaine dernière : « nous tous, on compte sur lui pour mettre le holà. Nous tous, qu’on soit de la majorité gouvernementale, de l’opposition, … Tous nous comptons sur lui parce que c’est son boulot, pour remettre l’ordre républicain, remettre chacun à sa place. » Emmanuel Macron est ainsi présenté comme un interlocuteur légitime, avec lequel celles et ceux qui s’inquiètent de l’offensive policière partageraient l’intérêt à défendre « l’ordre républicain » [1].

D’abord, ce discours met sous le tapis le rôle de premier plan de Macron et de son gouvernement dans l’approfondissement des mesures bonapartistes, des lois autoritaires et racistes et du renforcement de la police ces dernières années. Qu’on pense à la loi sécurité globale ou au schéma de maintien de l’ordre en passant par la LOPMI ou encore l’envoi de 45.000 policiers ainsi que du RAID et du GIGN contre la jeunesse des quartiers populaires, mettre la réponse à l’offensive policière entre les mains de ceux qui ont favorisé le renforcement de cette institution est une absurdité, et les réactions du Président et du ministre de l’Intérieur cette semaine l’ont montré. Tandis que le premier a choisi d’en dire le moins possible, le second s’est rangé derrière l’ensemble des revendications des syndicats de police qu’il entend examiner à la rentrée.

Surtout, ce discours donne du régime une vision faussée, que véhiculent également ceux qui insistent à l’excès sur l’autonomie de l’institution policière, comme si celle-ci prenait littéralement en otage le gouvernement. Dans les deux cas, le gouvernement et la police sont présentées comme des entités entièrement distinctes voire opposées. C’est ignorer la façon dont tous deux fonctionnent de façon imbriquée. Le pouvoir actuel, ne disposant que d’une majorité relative à l’Assemblée, repose en large partie sur les marges de manœuvre que lui offre la Constitution autoritaire de la Vème République pour gouverner en étant minoritaire, ainsi que sur la police, décisive face à l’intensification continue de la lutte des classes depuis 2017. Si cette situation place la police dans la situation d’exiger des avantages pour les services rendus, favorisant des formes croissantes d’expression autonome, ces revendications demeurent inscrites dans le cadre de relations étroites nouées avec le gouvernement, qui fondent le régime bonapartiste actuel.

Cela ne signifie pas que l’approfondissement de la crise ne pourrait pas amener à des divergences croissantes entre le pouvoir et la police, ni que celle-ci ne joue pas sa propre partition. Mais pour l’instant, et en dépit des éléments de radicalité qui peuvent exister dans une partie de la base, les perspectives des policiers et de leurs organisations restent inscrites dans le cadre du régime et de ses rapports avec le gouvernement. Confronté au double-enjeu de maintenir un rapport fonctionnel avec l’appareil policier tout en évitant que ne se réouvre la crise politique, l’attitude du gouvernement ne sera probablement pas exempte de contradictions dans les mois à venir. S’il a choisi dans un premier temps d’ouvrir la porte aux revendications policières pour calmer la colère, la mise en pratique de ces promesses pourrait être plus complexe du fait du risque de crise sur son flanc gauche ou avec l’institution judiciaire en cas de nouveau saut autoritaire. Des désaccords pourraient même éclater au sein de l’exécutif, face à un ministre de l’Intérieur qui pourrait être tenté de pousser le soutien aux forces de répression pour se positionner en incarnation d’un bonapartisme plus dur dans la perspective de 2027.

Mais, quelle que soit l’issue de la situation, celle-ci demeure dans tous les cas inscrite dans les coordonnées plus larges d’un régime voué à donner toujours plus de place à la police, tout en cherchant les moyens politiques de se consolider et de remédier à son absence de majorité. Dans un tel contexte, semer des illusions sur la possibilité d’un retour à la raison de Macron et faire du centre de gravité de la réponse à l’offensive autoritaire des pressions institutionnelles sur le gouvernement constituent une impasse dangereuse. Elles empêchent de poser la question centrale de la construction d’une contre-offensive par en bas, seule à même de dessiner une issue durable à la crise actuelle.

Construire une réponse à la hauteur des offensives à venir

Refuser les illusions véhiculées par l’idée « d’État de droit » n’est pas une posture de principe, mais plutôt la seule façon de commencer à esquisser une véritable réponse à l’escalade autoritaire en cours. Dans la situation de crise actuelle, il n’y aura en effet pas de retour pacifique à plus de « démocratie » dans le cadre du régime, ni sous Macron ni sous un autre gouvernement qui se confronterait très vite à son tour aux exigences racistes et sécuritaires de la police et à la nécessité de contrôler cette institution pour se maintenir dans une situation tumultueuse.

Pour pouvoir mettre un frein aux offensives autoritaires, mais surtout mettre un coup d’arrêt au cours autoritaire du régime, c’est sur leurs propres forces que doivent compter les travailleurs et l’ensemble de celles et ceux qui paient durement la crise. Sur ce plan, l’attitude actuelle des directions du mouvement ouvrier est particulièrement inquiétante. Après avoir mené le grand mouvement des retraites à la défaite avec leur stratégie de pression institutionnelle, les directions syndicales restent largement muettes face à la situation et ont choisi de reprendre le « dialogue social ». Cette attitude désarme elle aussi les travailleurs, et laisse le champ libre au gouvernement pour avancer dans ses attaques.

A quelques semaines de la rentrée, l’heure devrait au contraire être à forger les conditions d’un mouvement contre l’offensive autoritaire, en commençant par préparer le terrain à une mobilisation contre l’impunité policière et le renforcement de la police. Ce n’est pas du côté des interpellations du pouvoir d’Olivier Faure, premier secrétaire d’un parti qui a fait énormément pour renforcer le pouvoir policier sous Hollande, qu’il faut chercher des perspectives sur ce terrain, mais plutôt du côté de celles et ceux qui sont en première ligne des violences policières dans les quartiers populaires et chez les millions de travailleurs qui se sont mobilisés ces derniers mois contre la réforme des retraites.

En ce sens, la construction d’une grande campagne nationale contre l’impunité policière devrait aller de pair avec la construction d’une perspective de combat contre le gouvernement, autour d’un programme qui ne consiste pas en une liste de revendications adressée au gouvernement, mais en un outil pour mobiliser et unifier l’ensemble des travailleurs, des classes populaires et de celles et ceux qui luttent contre le racisme et les violences policières, la destruction de la planète, les oppressions, contre le régime et le patronat. Un programme qui devrait associer à la fois des mesures démocratiques, telles que la dissolution des corps spéciaux de la police, l’abrogation de toutes les lois sécuritaires et racistes, et des mesures sociales qui répondent à l’urgence actuelle, en commençant par l’augmentation de l’ensemble des salaires de 400€ et leur indexation sur l’inflation, la répartition du temps de travail entre toutes et tous contre le chômage, ou encore la retraite à 60 ans (55 ans pour les métiers pénibles).

Ce programme devrait être pensé comme un moyen de sceller l’alliance entre toutes celles et ceux qui ont intérêt à en finir avec ce régime, et devrait être défendu par les méthodes de la lutte des classes, dans la perspective de construire le blocage durable de l’économie dans le cadre d’une véritable grève générale. Parce que c’est sur le terrain de la lutte des classes que se jouera la possibilité d’en finir avec le durcissement actuel du régime, et parce qu’il a en main tous les leviers économiques du pays, le mouvement ouvrier a un rôle central à jouer, à condition d’en finir avec les stratégies institutionnelles qui ont conduit aux défaites des dernières années, à commencer par celle contre la réforme des retraites. A rebours de la délégation de la conduite des luttes aux bureaucrates des appareils syndicaux, il sera nécessaire de s’appuyer sur une large auto-organisation de notre classe dans le combat.

Qu’aurait à dire un tel programme et un tel mouvement de « l’État de droit », de la « séparation des pouvoirs » et de la « démocratie » ? Nous sommes convaincus en tant que révolutionnaires qu’aucun régime « démocratique » n’est possible dans le cadre du système capitaliste. La classe qui y domine soumet l’ensemble des institutions politiques à sa logique qui repose sur l’exploitation du plus grand nombre par une minorité de parasites. Seul un gouvernement des travailleurs permettrait d’en finir avec ce système, à des années lumières des projets de réforme de la Vème République ou de VIème République nous ramenant à des combinaisons parlementaires qu’ont connu les travailleurs français pendant des décennies d’offensives anti-sociales et autoritaires au long de la première moitié du XXème siècle.

Parce que la perspective d’un tel gouvernement n’est pas à l’ordre du jour pour la majorité des exploités et des opprimés, un tel mouvement pourrait se doter de revendications transitoires sur le terrain démocratique, en défendant un autre type de démocratie dans le cadre du système : celle, radicale, héritée des expériences de la Révolution française. Loin des mystifications sur l’« État de droit » et de la fétichisation de la « séparation des pouvoirs », la Convention de 1793 reposait sur une chambre parlementaire unique fusionnant les pouvoirs législatifs et exécutifs. Sous un contrôle très étroit du peuple insurgé, qui pouvait en révoquer les membres et qui s’assurait par des mobilisations hardies de la défense des intérêts populaires, cette chambre ne faisait pas que déblatérer sur les lois, mais était ainsi chargée de veiller à leur application. Exiger une telle chambre unique dont les membres seraient élus pour deux ans à la proportionnelle, révocables à tout moment et payés au salaire médian permettrait d’en finir avec nombre d’institutions réactionnaires du régime, de la présidence de la République au Sénat en passant par le Conseil constitutionnel, et de poser la question d’un régime sans commune mesure avec n’importe quelle « démocratie libérale » existante.

La lutte pour un tel régime serait un point d’appui pour le renversement total du système capitaliste, seule façon d’en finir avec la situation actuelle où crise économique et sociale nourrissent la crise du régime qui se traduit par un durcissement autoritaire continu. La droite et l’extrême-droite prennent acte de cette situation en élevant chaque jour un peu plus le ton, et en réclamant un saut autoritaire. Il faut que le mouvement ouvrier se prépare au combat à son tour, et assume son rôle majeur dans la situation.

Notes :

[1] Un discours qui fait au passage de la présidence de la République, qualifiée à juste titre de quasi-dictatoriale par le Financial Times, une institution garante de l’indépendance de la justice républicaine dans une inversion impressionnante de la réalité.


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