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Facs ouvertes à toutes et tous

Sélection à l’université. Pourquoi les présidences refusent la validation pour tous ?

Malgré les revendications des Assemblées Générales et la contestation étudiante, les Présidences d’université ont rejeté en bloc le 10 améliorable. Un tel acharnement face à un mouvement social fort, qui éclaire le rôle profond de l’université dans le système capitaliste.

Lorélia Fréjo

28 avril 2023

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Après un semestre universitaire marqué par la mobilisation contre la réforme des retraites, la revendication de la validation des examens pour tous s’est imposée dans les Assemblées Générales étudiantes. Avec Le Poing Levé, nous avons porté cette bataille dans les AGs et dans les conseils centraux des différentes universités où nous sommes élus, pour s’opposer à une université toujours plus sélective et fermée aux classes populaires. Pour autant, les présidences d’université ont refusé catégoriquement de valider son application, à l’aide de manœuvres anti-démocratiques.

Passages en force, répression : les présidences arc-boutées contre le 10 améliorable

Dans différentes universités, comme Paris 1 ou Toulouse Le Mirail, les présidences se sont appuyées sur leur majorité électorale dans les conseils pour s’opposer à l’instauration d’une note plancher. Malgré un rassemblement important au Panthéon, ou des blocages de partiels à Toulouse, les directions sont restées sourdes à la préoccupation des étudiants, et ont même menacé de répression les étudiants mobilisés pour la validation. A Paris 8, la Présidence a tout simplement refusé de soumettre au vote la motion des élus du Poing Levé pour la validation pour tous en conseil universitaire. Des rejets qui s’accompagnent du refus du passage de la banalisation des cours ou de quelconque motion en faveur de la mobilisation.

Même lorsque les élus étudiants et leurs alliés ont réussi à gagner les votes dans les conseils, comme à Montpellier, la Présidence est passée outre la décision de la CEVU en déclarant « illégales » les modalités adoptées. Contrariée par l’adoption de trois motions contre la sélection, à savoir l’attribution d’une note plancher à 12/20, le report au second semestre de la moyenne des notes du premier semestre, et la non-comptabilisation des cours en distanciel dans le programme évalué, la direction de Paul Valéry s’est opposée coûte que coûte à des mesures qui auraient pourtant permis de ne pas pénaliser les étudiants mobilisés ou précaires, après un semestre d’occupation et de cours à distance.

Face à l’acharnement des directions universitaires, la mobilisation s’est durcie, avec des tentatives d’occupation du campus Clignancourt de la Sorbonne par exemple, ou de celui de Nation de l’université Paris 3 Sorbonne nouvelle. Des tentatives rapidement réprimées par la police, appelée à la rescousse par les directions universitaires.

Tous ces exemples, s’ils témoignent le caractère profondément anti-démocratique des conseils centraux des facs, révèlent également la persistance des présidences à maintenir coûte que coûte un modèle universitaire sélectif. Mais comment s’explique cet acharnement ?

Cours à distance, fermetures, précarisation : les outils de la séquence Covid-19

Depuis le 19 janvier, ce mouvement social a été marqué par l’utilisation du distanciel pour maintenir les cours, par la fermeture systématique des centres universitaires dès qu’une Assemblée générale pointait le bout de son nez, et par une répression policière accrue. Renforcement de la sécurité et des contrôles : tout a été fait par les présidences pour empêcher un départ de feu dans la jeunesse, main dans la main avec le gouvernement.

Dans une tribune pour Libération, un collectif de chercheurs et d’enseignants de l’Université Paris 1 s’indigne ainsi de ces méthodes : « Tandis que les étudiant·e·s dans tout le pays rejoignent en masse les cortèges, revendiquant de meilleures conditions d’étude et de vie, sous le choc d’une séquence politique marquée par un déni démocratique patent et une répression policière intolérable, remettant en cause l’horizon productiviste d’un système économique à bout de souffle qui détruit la planète, la présidence de l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne reconfine la jeunesse ! N’exercez pas votre citoyenneté active, restez chez vous derrière vos écrans ! » écrivaient-ils.

Si le gouvernement a réprimé férocement l’entrée de la jeunesse dans la contestation, des déblocages de lycées et d’universités aux violences policières dans les manifestations spontanées, les présidences de fac ont poursuivi cette politique à leur échelle avec le maintien de la sélection depuis le début de la mobilisation. En effet, le Covid a permis de généraliser les cours à distance et le déplacement de l’université en dehors de ses murs, permettant aux présidences de maintenir coûte que coûte les examens malgré l’impréparation générale des partiels, notamment due à une politique de fermetures administratives systématique et de passage en distanciel. Évaluer des cours, qu’ils aient eu lieu ligne ou qu’ils n’aient tout bonnement pas eu lieu, cela ne pose plus de problème. L’arrivée des partiels a ainsi permis de mettre un coup d’arrêt à la mobilisation, via la pression scolaire, la peur de ne pas valider son année, et le risque de perdre sa bourse.

Ces outils utilisés par les Présidence, issus de l’apprentissage du Covid-19, dessinent une université où le savoir critique et la politique n’ont pas leur place.

Réformes sélectives : l’université, une machine à sélectionner toujours mieux rodée ?

Que ça soit le maintien des cours et des examens en distanciel, où le refus de répondre à la revendication de la validation automatique des partiels, traditionnelle lors des mouvements étudiants, la politique imposée par les présidences d’université n’est que le reflet de l’accélération des attaques contre l’université. En effet, comme nous l’expliquions dans un article « cela fait plusieurs dizaines d’années que les gouvernements successifs tentent de mettre fin au modèle de l’université publique hérité de Mai 68. Mais face à la tradition des luttes étudiantes qui se maintient, ceux-ci n’y parviennent que partiellement et sont bien loin des ambitions des capitalistes français et de leur meilleur représentant, Emmanuel Macron, qui n’a jamais caché ses intentions de réforme de l’université ».

En effet, depuis le début du quinquennat Macron, les réformes austéritaires se succèdent à l’université. La Loi ORE de 2018 représentait déjà « la volonté d’instaurer une sélection drastique à l’entrée de l’université, ne fait certes que prolonger l’une des avancées les plus profondes du néolibéralisme à l’université depuis 15 ans : l’ingérence multiforme du capital dans son financement et son façonnement idéologique » pour Emmanuel Barot, philosophe, dans un article pour Révolution Permanente. Désormais, avec la plateforme Trouver Mon Master, la sélection va aussi se retrouver renforcée pour l’accès à la poursuite des études. Évidemment, ce sont les étudiants les plus précaires, obligés de travailler à côté de leurs études, qui vont en payer le prix fort.

Ces réformes de sélection se sont également accompagnées de la précarisation de l’ensemble de l’université, des étudiants aux personnels, notamment via la Loi LPR, qui renforce la concurrence dans la recherche et lance le chantier de la privatisation en accentuant le recours aux partenariats publics-privé. En témoigne le mouvement de grève entamé par les salariés d’Arc-en-Ciel, entreprise de nettoyage employé par l’université Paris 1 en novembre dernier, qui dénonçaient des conditions de travail quasi-esclavagistes. Une situation que le gouvernement prévoit encore d’attaquer dans les mois à venir, puisqu’il a annoncé « des réductions significatives » du budget de l’État en 2024, desquelles les universités risquent d’être de nouveau en première ligne.

Défendre la validation pour tous contre une université toujours plus sélective et répressive

Si les universités semblent avoir retenu des leçons de la séquence de pandémie et de confinements, cette situation n’est pas propre à la France. Dans un article pour Contretemps, Mariya Ivancheva, sociologue à l’Université de Liverpool, tire le bilan des premiers confinements des universités outre-Manche : précarisation du travail, surcharges, baisse des budget ; les gouvernements néolibéraux ont utilisé la période du Covid pour s’attaquer à l’université. Elle explique en effet que : « la charge de travail académique déjà croissante des enseignants est intensifiée par les enseignements en ligne, sans rémunération supplémentaire, et alors même que de tels cours demandent une pédagogie différente et prennent plus de temps que l’enseignement en classe. Avec la transformation de l’enseignement à distance d’urgence en une offre d’ « éducation en ligne », ces modalités pourraient devenir la nouvelle norme. ». Le confinement a donc servi à accroître la pression sur les étudiants et les personnels, pour maintenir la sélection et la compétition entre établissements.

Ce modèle d’université est à l’opposé de celui souhaité par ceux qui la compose et la font tourner : les étudiants et personnels. Un modèle que la revendication d’une note plancher, en pleine mobilisation nationale contre Macron, va dans le sens de le combattre. Alors que nationalement, l’UNEF s’est opposée à la défense de la validation pour tous au prétexte de son « illégalité » après les arrêtés juridiques pendant le Covid-19, il faut au contraire renforcer la bataille contre une université dont le seul but est d’évaluer les étudiants. Le mot d’ordre de la validation pour tous est un moyen d’ouvrir un débat sur l’université que nous voulons, et questionner son rôle dans notre système, à savoir former de la main d’œuvre qualifiée pour les entreprises. Dans une situation de crise économique majeure, la bourgeoisie est prête à tout pour rogner toujours plus dans les budgets de l’Université, et le quinquennat Macron va être marqué par les attaques toujours plus importantes contre cette dernière.

Au-delà de permettre à l’ensemble des étudiants de ne pas être pénalisé pour avoir participé à la mobilisation, seule condition pour gagner sur les revendications qui ont été celles des étudiants et des personnels de l’université depuis des années (augmentation des budgets, suppression des réformes de sélection, fin de la concurrence accrue dans la recherche, titularisation des précaires), la revendication de la note plancher s’oppose aux fondements de l’université néolibérale. Plutôt que d’être une machine à sélectionner et produire de la main d’œuvre qualifiée, nous militons pour que l’université soit un espace de formation et de débats, gratuite et ouverte à toutes et tous et tournée vers la mobilisation aux côtés des travailleurs et à la production d’un savoir alternatif, mise au service d’un changement de société. En ce sens depuis le Poing levé nous appelons à continuer la mobilisation contre la sélection à l’université et à rejoindre toutes les luttes et initiatives pour que les étudiants puissent valider cette année.


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