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Europe de l’Est

Pologne, Slovaquie… : le front occidental pro-Ukraine challengé par la droite « illibérale »

Le résultat des élections slovaques et les élections polonaises à venir indiquent qu’en Europe de l’Est se joue une partie importante pour maintenir l’unité de l’OTAN et de l’UE face à la guerre en Ukraine. Mais pas seulement.

Philippe Alcoy

2 octobre 2023

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Pologne, Slovaquie… : le front occidental pro-Ukraine challengé par la droite « illibérale »

Photo : Flickr | Photo prise lors du troisième anniversaire des funérailles de Lech et Maria Kaczyński à Cracovie

L’un des paris du président russe Vladimir Poutine quand il a lancé son invasion de l’Ukraine avait été les disputes possibles au sein du bloc occidental face à la guerre. Mais contrairement aux calculs du Kremlin, sa guerre en Ukraine a eu comme effet de redynamiser l’OTAN et de créer une unité relativement forte entre les puissances impérialistes occidentales et leurs alliés. La hausse du prix des carburants, du gaz, des produits alimentaires, des matières premières, entre autres, n’a pas réussi à effriter le soutien occidental à l’Ukraine. En tout cas dans les premières phases de la guerre.

En effet, cette unité n’a pas fait disparaître les frictions et contradictions des intérêts des grandes puissances, entre elles mais aussi avec les « alliés » des impérialistes. C’est ainsi qu’il y a quelques mois a explosé devant toute la planète la crise des céréales ukrainiennes touchant ses voisins immédiats en Europe de l’Est : la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie mais aussi la Bulgarie et la Roumanie. Cette crise a amené ces pays à bannir les importations de produits agricoles ukrainiens pour empêcher que ceux-ci, moins chers, finissent sur les marchés locaux alors qu’en principe ils devait juste traverser les territoires de ces Etats jusqu’à des ports d’où ils seraient exportés.

La crise a connu un nouvel épisode courant septembre quand les mesures provisoires de l’UE ont pris fin, permettant à nouveau que les produits ukrainiens puissent entrer dans le territoire de l’union. Le gouvernement polonais a alors menacé de ne plus livrer d’armes à l’Ukraine, avant de se rétracter.

Incertitude sur les élections polonaises

Quoi qu’il en soit, cette question est devenue un des thèmes de la campagne électorale polonaise qui aura lieu le 15 octobre prochain. Le gouvernement du parti ultraconservateur PiS, qui était parmi les plus fervents soutiens de l’Ukraine contre la Russie, exprime désormais un discours assez hostile à l’Ukraine, dénonçant « l’ingratitude » de Zelensky et de son gouvernement à l’égard de la Pologne, qui a accueilli 1,5 millions de réfugiés ukrainiens. On craint à Bruxelles qu’une victoire du PiS signifie l’ouverture d’une brèche dans l’unité atlantiste dans le soutien à l’Ukraine.

Ainsi, Eugeniusz Smolar écrit dans le journal libéral en ligne New Eastern Europe que « la Pologne, qui a donné l’exemple à d’autres pays en aidant les Ukrainiens qui se battaient héroïquement, en commençant par la livraison d’environ 300 chars après le début de la guerre en 2022, a détruit le front uni de l’Occident (…) Tout cela est dû au désir du PiS de gagner des électeurs de droite, souvent anti-Ukrainiens, lors des prochaines élections ».

C’est en ce sens que l’énorme manifestation organisée par l’opposition de centre-droite ce dimanche à Varsovie, et dans d’autres villes du pays, apparaît comme un espoir dans les principales capitales européennes. Selon le parti de l’ancien premier ministre polonais et actuel candidat au poste de premier ministre, Donald Tusk, un million de personnes auraient pris part à la manifestation. Tusk et ses alliés espèrent que cette manifestation l’aide à monter dans les sondages et éviter un troisième mandat du PiS.

En plus de la question du soutien à l’Ukraine, l’opposition polonaise est en train d’agiter la possibilité d’une sortie de la Pologne de l’UE en cas de victoire du PiS. Ce scénario semble assez peu probable aujourd’hui, mais il sert à présenter la prochaine élection comme une opposition entre des forces représentant soi-disant des valeurs « démocratiques » et le parti au pouvoir un « repli autoritaire ». La réalité est un peu plus complexe puisque, malgré son orientation profondément réactionnaire, patriarcale, anti-LGBT, nationaliste et xénophobe, le PiS a su être très apprécié par Bruxelles, notamment au début de la guerre en Ukraine. A cette époque la Pologne et son gouvernement étaient félicités par tous les gouvernements impérialistes de l’UE pour son attitude, son accueil des réfugiés, sa posture guerrière fonctionnelle à ses propres intérêts et à ceux de l’OTAN (et non ceux du peuple ukrainien).

En même temps, Tusk n’hésite pas de son côté à aller chasser sur le terrain de la xénophobie. Ainsi, en juillet dernier une vidéo de campagne provoquait une forte polémique. Tusk y accusait le chef de fait du PiS, Jarosław Kaczyński, de laxisme à l’égard des migrants musulmans, alors que ceux-ci représenteraient un danger pour la sécurité du pays. « Nous sommes choqués par les émeutes brutales en France, et pendant ce temps, Kaczyński prépare un document qui incitera encore plus de personnes à venir en Pologne depuis l’Iran, le Qatar, les Émirats arabes unis, le Nigeria et la République islamique du Pakistan, entre autres pays », y affirmait-t-il.

Victoire de Robert Fico en Slovaquie, élections aux Etats-Unis... : vers un renforcement du « front anti-Ukraine » ?

L’autre nouvelle inquiétante du week-end a été la victoire de l’ancien premier ministre « illibéral », Rober Fico, en Slovaquie. Celui-ci a obtenu 23% des voix dans un paysage politique fragmenté et il est en position pour former une coalition de gouvernement avec des formations nationalistes et de droite. Cette situation inquiète au sein du bloc atlantiste car Fico a mené une campagne où il adoptait une posture assez hostile à l’égard de l’aide à l’Ukraine. Il a ainsi déclaré le soir de sa victoire qu’il n’enverrait plus aucune arme ou munition à l’Ukraine.

Fico est un réactionnaire, un corrompu, mais aussi un grand opportuniste. Son discours tente de séduire une partie de la population slovaque qui est de plus en plus sceptique vis-à-vis de la guerre en Ukraine. En effet, dans un sondage de mars dernier conduit par le Central and Eastern Europe found, 51% des enquêtés affirmaient que l’Ukraine et les Occidentaux étaient les principaux responsables pour la guerre en Ukraine. Mais c’est sous le gouvernement de Fico aussi que la Slovaquie a adopté l’euro comme monnaie nationale.

Beaucoup d’analystes craignent que si Fico arrive à former un gouvernement cela renforcerait un soi-disant front « anti-Ukraine » et pro-russe aux côtés de Viktor Orban en Hongrie. Une victoire de PiS en Pologne pourrait également renforcer ce « front ». Mais l’inquiétude principale concerne l’affaiblissement du bloc atlantiste à l’égard de la guerre en Ukraine. En ce sens, les élections européennes seront un test important pour l’UE.

Mais c’est surtout la situation aux Etats-Unis qui pourrait finir par devenir la pression fatale pour l’Ukraine, la forçant à devoir négocier avec Poutine la fin du conflit. En effet, ce week-end, pour éviter un black-out du gouvernement nord-américain, Démocrates et Républicains sont arrivés à un accord qui éliminait une ligne de financement de la guerre en Ukraine de 6 milliards de dollars. Joe Biden a dû faire des déclarations publiques pour « rassurer » le gouvernement Ukrainien. Alors qu’aux Etats-Unis, comme en Europe de l’Est, Trump essaye d’utiliser les critiques au sein de la population vis-à-vis de la continuité de la guerre en Ukraine, et ses conséquences sur leur vie quotidienne, pour gagner des soutiens électoraux, la situation politique pourrait déterminer la suite du conflit en Europe de l’Est.

Des déviations réactionnaires du mécontentement populaire

Evidemment, tous ces projets bourgeois d’opposition ne répondent aucunement aux intérêts des travailleurs et des classes populaires, encore moins au droit à l’auto-détermination du peuple ukrainien face à l’agression russe. Si la politique impérialiste de Biden n’offre pas de réelle perspective pour le peuple ukrainien, Trump, pour sa part, a contribué à l’hostilité de l’OTAN à l’égard de la Russie en tant que président des Etats-Unis. De même, les politiciens réactionnaires européens qui prétendent pousser pour mettre un terme à la guerre le font en poursuivant leurs propres intérêts réactionnaires et calculs électoralistes.

Ces forces qui alimentent les tendances les plus nationalistes, préparant d’autres guerres dans le continent, ne représentent donc en rien une alternative progressiste à la guerre. Cependant, par manque de perspectives révolutionnaires et de classe qui puissent répondre en même temps à la question de l’auto-détermination ukrainienne en totale indépendance de Poutine mais aussi des impérialistes et des fractions capitalistes locales, certains secteurs des classes populaires finissent dans les bras de l’extrême-droite. Ainsi, en Pologne un tiers des jeunes (18-21 ans) votera pour l’extrême-droite aux élections.

Face à cette dynamique mortifère, il y a urgence à dessiner une autre voie, au service des intérêts des travailleurs et des classes populaires. Une voie qui ne peut être articulée qu’à une perspective ouvrière et révolutionnaire, contre la guerre, pour le droit à l’auto-détermination des peuples, contre l’emprise des impérialistes et des grandes puissances.


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