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Analyse

Trêve à Gaza : vers une reprise des négociations aux conditions d’Israël ?

Après que l’Etat colonial s’est retiré des négociations, la semaine dernière, devant le refus du Hamas d’accepter ses conditions exorbitantes, le mouvement palestinien a émis, ce jeudi, une nouvelle proposition de trêve. Renonçant à demander une trêve permanente, le parti semble avoir cédé à la pression israélienne.

Enzo Tresso

18 mars

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Trêve à Gaza : vers une reprise des négociations aux conditions d'Israël ?

Crédit photo : source, ministère des Affaires étrangères qatari

Alors que les négociations étaient à l’arrêt depuis plus d’une semaine, le Hamas a communiqué aux négociateurs étatsuniens, qataris et égyptiens une nouvelle proposition de trêve. Renonçant à demander une trêve permanente, le Hamas demande une suspension temporaire des opérations de Tsahal dans la bande de Gaza. Échelonnée sur trois phases de 42 jours, la trêve verrait, dans un premier temps, les troupes israéliennes se retirer progressivement du centre-ville de Gaza City et des routes d’al-Rashid et de Salah al-Din, qui traversent l’enclave du nord au sud, afin de faciliter le retour des Palestiniens déplacés et le passage de l’aide alimentaire.

Une proposition à l’avantage d’Israël

Pendant cette première phase, le Hamas libèrerait les femmes, les enfants et les personnes âgées et malades qu’il retient prisonnier en l’échange d’un millier de détenus palestiniens. En outre, le Hamas exige la libération de 50 Palestiniens de son choix, dont une trentaine purge des peines de prison à vie, en l’échange de chacune des cinq réservistes israéliennes capturées à Gaza. Dans une seconde phase, la libération des autres prisonniers israéliens serait conditionnée à la signature d’une trêve permanente tandis que la reconstruction de l’enclave débuterait au cours de la troisième phase pendant laquelle Israël serait tenu de lever le siège de Gaza et de retirer l’ensemble de ses forces du territoire gazaoui.

Au regard de l’accord-cadre qui servait de base aux négociations début février, cette nouvelle proposition a tout d’un renoncement stratégique. Alors que le plan discuté à Paris faisait de la déclaration d’une trêve permanente la condition sine qua non de la libération des otages, la nouvelle mouture de la trêve dissocie l’application de la première phase du plan de la déclaration d’un cessez-le-feu permanent. Si le nouveau plan n’a pas encore été discuté par les négociateurs israéliens qui ne manqueront sans doute pas d’en atténuer encore davantage la portée, l’abandon de l’objectif d’une trêve permanente témoigne d’un changement d’orientation dans la stratégie du Hamas.

Si le Hamas défendait originellement la reconquête de la totalité de la Palestine et s’opposait aux accords d’Oslo, l’institutionnalisation du mouvement lui a fait renoncer progressivement à son programme maximaliste. S’il reprenait les revendications de l’OLP pour mieux dénoncer sa compromission avec les négociateurs israéliens, il considère la solution à deux Etats comme une base tactique importante depuis 2006. Lors des négociations tenues la même année entre Ahmad Youssef, conseiller d’Ismaël Haniyeh, alors premier ministre de l’Autorité Palestinienne, et des représentants israéliens en Suisse, le Hamas avait ratifié le partage en deux Etats du territoire palestinien et posé comme son objectif principal l’obtention d’une trêve permanente entre Israël et la représentation du peuple palestinien.

Le document issu de cette rencontre demandait ainsi, à l’article 1, « un retrait (insihâb) israélien de la Cisjordanie sur la ligne transitoire convenue » et, à l’article 2, « une trêve (hudna) de cinq ans, où il ne sera pas lancé d’attaques palestiniennes à l’intérieur d’Israël, ou contre des Israéliens où qu’ils soient, et ne seront pas lancées des attaques israéliennes sur les terres palestiniennes, ou contre des Palestiniens où qu’ils soient » [1]. Si les attaques du 7 octobre visaient, en partie, à imposer un rapport de force favorable à l’obtention de cette solution politique, l’abandon de cette revendication fondamentale signale les contradictions du projet stratégique du mouvement palestinien.

Le Hamas sous pression

Alors que les opérations génocidaires de Tsahal à Gaza ont fait près de 35 000 morts et plus de 70 000 blessés, qu’Israël affame volontairement la ville en empêchant l’arrivée de l’aide alimentaire et que les conditions humanitaires dans l’enclave sont devenues apocalyptiques, la passivité des Etats arabes et des composantes de l’Axe de la Résistance proches du Hamas a apporté un démenti partiel à la stratégie du mouvement palestinien, mettant à nouveau à jour le rôle réactionnaire des bourgeoisies arabes [2]. Tandis qu’Israël menace d’envahir Rafah et de déporter les 1,4 million de Palestiniens qui y ont trouvé refuge au centre de l’enclave, en dessous de l’autoroute fortifiée 749, et dans le désert du Sinaï, où l’Egypte a construit, à la hâte, un sas fortifié pouvant accueillir 100 000 réfugiés, le Hamas subit également la pression de l’Autorité Palestinienne et du Hezbollah.

Lire aussi : La guerre sans fin : Israël resserre son étau sur Rafah

Jeudi 14 mars, le président vieillissant de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas, a en effet nommé un nouveau premier ministre. Issu de son cercle rapproché, la nomination de l’économiste Mohammad Moustapha, proche de la communauté internationale, vise à rassurer les Etats-Unis et les puissances occidentales dont les appels à « revitaliser » l’Autorité Palestinienne se sont multipliés. S’opposant à la recolonisation directe de Gaza, les Etats-Unis militent en effe pour la construction d’une entité supplétive palestinienne, inféodée à Israël, par le truchement de laquelle l’Etat colonial pourrait contrôler l’enclave.

Dans un communiqué commun, signé par le FPLP (Front Populaire de Libération de la Palestine) et le Jihad Islamique, le Hamas et les autres composantes de la résistance palestinienne ont accusé Abbas d’être « déconnecté » de la réalité et de « prendre des décisions contre la volonté du peuple palestinien » et ont souligné la « profonde crise au sein de l’Autorité Palestinienne » : « Former un nouveau gouvernement sans consensus national va aggraver les divisions » interpalestiniennes. En réponse, le Fatah a accusé le Hamas et les autres signataires du communiqué « d’avoir causé le retour de l’occupation israélienne de Gaza en entreprenant l’aventure du 7 octobre ».

Alors que l’Autorité Palestinienne cherche à s’imposer dans les négociations auxquelles elle n’est pas actuellement conviée, le Hamas craint d’être écarté des discussions sur l’avenir de Gaza et de perdre la position diplomatique qu’il a acquise depuis le 7 octobre. Dans ces conditions, le mouvement palestinien était contraint de céder du terrain à Israël, tant pour éviter l’anéantissement de Rafah que pour demeurer l’interlocuteur principal des puissances occidentales.

Conscient que sa survie politique dépend de la poursuite de la guerre, Netanyahou a fustigé la proposition du Hamas, vendredi 15 mars, en déclarant que les conditions du mouvement palestinien étaient « inadmissibles ». Confronté à de lourdes accusations de corruption, le premier ministre israélien ne peut échapper à la justice qu’à se maintenir au pouvoir. Pour s’assurer, par tous les moyens, du soutien de l’aile la plus extrémiste de la coalition gouvernementale, qui milite activement pour la recolonisation de Gaza, Netanyahou a choisi la stratégie du pire : conduire jusqu’à son terme la guerre coloniale de Tsahal à Gaza, refuser toute cessation des massacres et poser les bases d’une conquête totale de la Palestine. En dépit des déclarations de Netanyahou, le gouvernement israélien a toutefois dépêché, ce lundi 18 mars, le chef du Mossad, David Barnea, à Doha pour examiner la proposition du Hamas avec les membres de la diplomatie égyptienne et qatarie.

Une trêve qui pourrait permettre à Tsahal d’ouvrir un nouveau front

Si la reprise des négociations est encore incertaine, la signature d’une trêve provisoire pourrait également aiguillonner les ambitions de la frange la plus radicale du gouvernement Netanyahou. Alors que le premier ministre fait le choix de la guerre permanente pour essouffler l’opinion publique israélienne et se maintenir en poste, la suspension provisoire des combats sur le front gazaoui pourrait s’accompagner d’une intensification des opérations au Liban.

Comme l’indiquait un diplomate occidental à l’Orient le jour, « Benjamin Netanyahou ne tolérera pas un cessez-le-feu sur les deux fronts, car il a besoin de maintenir Israël et son gouvernement en état de guerre. Par conséquent, avec une trêve à Gaza, les Israéliens pourraient mener des opérations contre des sites et des cibles du Hezbollah au Liban, ce qui signifie que les escarmouches pourraient se poursuivre et même s’intensifier ».

Lire aussi : Le Liban aux portes de la guerre ?

Alors que la diplomatie étatsunienne s’inquiète ouvertement des plans d’invasion du Liban qu’élaborerait Tsahal et que plusieurs médias indiquent qu’une invasion restreinte d’une zone de 5km de profondeur au sud-Liban serait prévue à la mi-avril, la reprise des négociations fait à la fois espérer que la population gazaouie bénéficie d’un bref répit en même temps qu’elle fait craindre l’élargissement du front israélo-libanais et l’extension des opérations coloniales au Liban.


[1Nicolas Dot-Pouillard, La mosaïque éclatée  : une histoire du mouvement national palestinien, 1993-2016, Paris, Actes sud, 2016, pp. 79-80.

[2Jean-Pierre Filiu, Comment la Palestine fut perdue et pourquoi Israël n’a pas gagné  : histoire d’un conflit (XIXe-XXIe siècle), Paris, Éditions du Seuil, 2024, pp. 223-256.



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